Les Chroniques de l'Imaginaire

Mc Spare, Patrick

Hanako : Patrice Lesparre (de votre vrai nom), dès l'âge de onze ans, les comics américains vous donnent cette envie de faire de la BD votre métier. En attendant, à dix-sept ans, donc en 1981, vous fondez votre premier groupe punk, Porno Kino, en étant chanteur et parolier. Puis vous vous essayez à la radio en tant qu'animateur (1986-1987), avant une période de créatif en agence de pub (1988-1990). Mais votre rêve d'enfant se réalise avec votre collaboration avec Semic (1999-2003), d'abord comme illustrateur, puis dessinateur et parfois scénariste. Avec Pif Gadget (2005-2008), c'est plus votre côté scénariste qui est mis en valeur. Vous réalisez depuis 2008 une série de super-héros pour le magazine Power Mania, en tant que scénariste et dessinateur. En 2009, vous fondez votre second groupe, du rock cette fois, Roman Noir. Et puis sous le nom de Patrick Mc Spare, vous vous lancez depuis 2010 dans l'écriture de romans. D'abord en collaboration avec votre ami Olivier Peru, alias Oliver Peru (choix de l'éditeur de noms à consonance anglo-saxonne), puis seul. Vous animez aussi des ateliers d'écriture ou d'illustration.
Après ce résumé de votre vie qui me semble peu exhaustif, une seule question me taraude : êtes-vous hyperactif ou est-ce simplement vos doigts qui vous démangent trop Patrice / Patrick Lesparre / Mc Spare ?

Patrick Mc Spare : Peu exhaustif, peu exhaustif... Au contraire, je trouve que vous parvenez à donner une vision très précise de mon passé. Restent seulement quelques zones d'ombre, pacte conclu avec les forces des ténèbres (une belle arnaque, on m'avait promis que je deviendrais milliardaire à trente ans ; je ne conseille à personne de signer), errances rock'n'rollesques et autres brefs égarements que la morale nous déconseille de mentionner ici :)
Pour ce qui est de mes doigts, ils ne me démangent pas mais m'ont fait un peu mal récemment, lorsque j'ai voulu m'essayer à la guitare. Avec un instrument muni de cordes en acier, grosse erreur. On ne m'y reprendra plus, ouch. Concernant le reste, en fait, je suis un faux hyperactif. Mon pote Oliv, lui, ne plaisante pas avec ça (oui, Oliver Peru est l'homme qui dort dix minutes par nuit !). Moi, s'il est vrai que je travaille dans divers domaines artistiques, je me consacre en général à une seule tâche sur une période donnée. En général, hein, car il peut m'arriver de bosser sur un scénario BD ou de créer de nouvelles chansons alors que je suis à fond dans l'écriture d'un roman. Mais dans l'ensemble, ça reste gérable... sans temps mort, cela dit :) C'est un parcours somme toute assez classique. Beaucoup d'auteurs cumulent plusieurs casquettes. Dans mon cas, le rock et l'écriture constituent les deux grands amours de ma vie professionnelle (le dessin BD les a précédé puis accompagné durant longtemps, mais il a fini par passer au second plan). Je ne peux concevoir l'existence sans eux. Et ce n'est pas une posture que de faire une telle déclaration. Je suis réellement incapable de fonctionner si je n'écris pas régulièrement des textes et des histoires, qu'ils soient destinés à un large public ou non. À partir de là, plus le choix : faut y aller !

H : Les Hauts-Conteurs, série jeunesse de médiéval-fantastique (Tomes 1 à 5, éditions Scrinéo Jeunesse), co-écrit avec Olivier Peru, a reçu le Prix des incorruptibles 2012, Prix Elbakin.net 2011 du meilleur roman fantasy jeunesse français. J'imagine que cette reconnaissance vous a conforté dans votre désir d'écrire des romans ?

PMS : Quand l'aventure des Haut-Conteurs commença, Oliv comme moi éprouvions une envie profonde d'écriture romanesque, depuis pas mal de temps déjà. Bien sûr, nous espérions que notre bébé connaîtrait le succès, mais nous fûmes surpris et ravis par l'enthousiasme général. Cet accueil nous permit d'acquérir rapidement crédibilité et légitimité. Car il faut se souvenir que, dans l'optique du champ littéraire, nous débarquions de nulle part. Nous devions faire nos preuves. C'est aussi pour ces raisons, et pas seulement par challenge personnel, que nous avons produit quatre tomes en treize mois. Nous voulions que la série existe vite... et bien. Alors, en effet, la reconnaissance dont bénéficièrent les Haut-Conteurs à cette époque nous encouragea et renforça notre volonté de poursuivre l'aventure. Et, à l'heure actuelle, nous avons l'un et l'autre plein de beaux projets d'écriture.

H : Les Hauts-Conteurs, c'est l'histoire d'une bande de troubadours qui a le don de raconter des histoires. Ressentez-vous la même chose que vos héros lorsque vous êtes sur scène avec votre groupe de musique ?

PMS : D'une certaine façon, oui. Il y a de l'excitation, de l'énergie, du plaisir, une écoute réciproque... mais je n'encours pas les mêmes terrifiants dangers que nos amis à capes pourpres, heureusement pour moi.
Avec Roman Noir, je m'astreins à proposer des textes travaillés. Se produire en concert demeure l'expérience la plus forte que je connaisse, en termes d'adrénaline. Hormis la traque aux vampires, corrigerait sans doute Calixte le Chasseur, un vieux et sage Haut-Conteur :)

H : Votre amitié avec Olivier Peru semble remonter à votre passion commune pour la BD. Pourtant, votre collaboration ne débute pas comme on pourrait le croire par la BD, mais par la série des Hauts-Conteurs. Est-ce qu'après cela vous envisagez de publier un album BD ensemble ou cette perspective ne vous a jamais effleuré ?

PMS : Vous êtes encore une fois très bien renseignée ! C'est vrai, nous nous sommes rencontrés en janvier 2000, au festival d'Angoulême. Nous travaillions alors avec Semic. Une période très productive qui réunissait divers jeunes auteurs dans le cadre de ce qu'on a appelé plus tard la « Semic Team ». Je garde de très chouettes souvenirs de ces années-là. Oliv et moi sommes rapidement devenus amis, mais, tandis que lui embrayait sur des plans BD, je privilégiais de mon côté mes deux groupes (je n'avais pas encore mis Porno Kino en sommeil). Cela me permit de jouer à plusieurs reprises avec un groupe anglais légendaire pour les initiés (UK Subs) et sur des dates importantes, à Paris, notamment. Mais booker un groupe prend beaucoup de temps et cette période me laissait seulement de rares opportunités en BD, comme avec Pif-Gadget et Power Mania. C'est pour cette raison que notre première collaboration s'est concrétisée avec Les Haut-Conteurs, au lendemain d'un concert de Porno Kino à Paris, justement. Mais nous avons aussi envie de travailler ensemble sur de la BD. Cela viendra en son temps. Déjà, nous participons tous deux, en tant que scénaristes, à la mini-série Oracle que publiera Soleil à partir de mars 2014. Mon tome à moi s'appelle Le mal formé, est dessiné par Nicolas Demare et sortira en octobre.

H : Les Héritiers de l'Aube (éditions Scrinéo) est aussi une série jeunesse de médiéval-fantastique que vous rédigez seul. Est-ce un choix commun avec Olivier Peru de ne pas poursuivre votre collaboration ?

PMS : Oui, tout à fait. Oliv et moi avons beaucoup d'idées en gestation. Toutes ne sont pas compatibles avec une création à quatre mains. D'autre part, il faut aussi savoir se diversifier afin de se surprendre soi-même et ne pas lasser les lecteurs. Mais cela ne nous empêche nullement de prévoir de futurs projets communs. Amis dans la vie, nous nous voyons régulièrement et avons d'ores et déjà une idée précise de la tournure que prendra notre prochaine aventure. Il faut juste trouver le temps nécessaire...

H : Dans Les Héritiers de l'Aube, des jeunes gens sont arrachés à leurs époques respectives pour une quête contre les forces du mal. Aborder la problématique de l'espace temps n'est-il pas un casse-tête pour un romancier avec tous les paradoxes qu'il peut engendrer ?

PMS : Au contraire, les paradoxes espace-temps fournissent une infinité de situations et coups de théâtre possibles. Après, je vous le concède, il ne faut pas s'emmêler les pinceaux. À moi de rester vigilant :)

H : Le second tome des Héritiers de l'Aube est programmé pour quand ?

PMS : Il paraîtra au mois de mai. Dans cette nouvelle aventure, on fait connaissance avec Alba, la quatrième Héritière retardée dans le tome 1 par des manigances démoniaques. Nos héros vont devoir contrer les plans d'une ravissante et impitoyable démone. La partie sera difficile et je crains qu'ils ne se préparent à de cruelles déceptions. Mais quel auteur serais-je si je commençais à spoiler en plein milieu d'une interview ? :)

H : En littérature, vous semblez privilégier les histoires fantastiques. Est-ce que vos influences sont strictement issues de la BD ou certains auteurs vous ont donné cette envie d'écrire des histoires autrement que par le dessin ?

PMS : Que je sois lecteur, spectateur ou créateur, le fantastique demeure mon genre de prédilection. Enfant, déjà, je préférais la SF et l'angoisse aux récits d'aventures classiques (hormis ceux situés à l'époque médiévale, mes chouchous). Ici, je pense que l'on peut parler de goût davantage que d'influence. Mes premiers émerveillements en la matière furent de vieilles séries populaires comme Flash Gordon, Mandrake le magicien et Tex Willer. Puis je découvris les super-héros Marvel, ainsi que vous le souligniez plus tôt. Et un peu plus tard encore, des auteurs comme Lovecraft, Philip K. Dick et Stephen King. Mais c'est tout naturellement que lorsque mon tour vint d'inventer des histoires, je suivis cette direction.

H : Avant de parler plus en détail de votre dernier roman, Comtesse Bathory (éditions Panini Books), le seul aujourd'hui pour un public adulte, j'aimerais savoir si le changement de style d'écriture par rapport aux romans pour la jeunesse est un exercice difficile ?

PMS : Pas vraiment, car j'ai pour habitude de ne pas abaisser mon niveau d'écriture lorsque je produis des romans dits « jeunesse », dès lors qu'il s'adressent aux douze ans et plus. En revanche, travailler dans le registre « adulte » permet d'aborder de façon explicite les thématiques liées au sexe et la violence, de même qu'il accorde davantage de place à la psychologie des personnages. Mais je m'éclate néanmoins à écrire des aventures fantastiques estampillées « jeunesse » où les héros courent d'un coin à l'autre pour sauver le monde et échapper à de terrifiantes menaces :)

H : Que ce soit Comtesse Bathory ou Les Hauts-Conteurs ou encore Les Héritiers de l'Aube, tous vos romans situent leurs actions en plein cœur de l'époque médiévale. Seriez-vous fasciné par cette période ?

PMS : Sans aucune réserve. Étant enfant, quand je ne lisais pas des BD, je jouais avec des châteaux-forts et des soldats représentant chevaliers et soudards. Les garages et les voitures ne m'intéressaient pas. Je ne sais pas d'où cet intérêt m'est venu, à l'époque, les séries médiévales et/ou fantasy n'étaient pas du tout à la mode. Mais c'est un fait : cette ère sombre et violente me fascine depuis toujours. Oliver a des goûts similaires, aussi n'avons-nous pas hésité une seconde quand il s'est agi de définir la période dans laquelle évolueraient nos Haut-Conteurs. Concernant les Héritiers de l'Aube, le fond est différent, même si j'ai mis ma période fétiche à l'honneur dans le tome 1. Nos héros changent régulièrement d'époque. Dans le tome 2, ils seront donc très loin des armures, des épées et des grandes compagnies.

H : Je sais que vous avez découvert la Comtesse Bathory grâce à une chanson du groupe Venom (Countess Bathory) et qu'à l’époque, vous avez été intrigué par ce personnage. Plus tard, en 2001, vous l'avez utilisée comme l'une des ennemies de votre héros (Dharkold) dans l'une de vos BD. Puis vous vous êtes sérieusement documenté sur elle. Est-ce que l'idée de votre roman a germé durant cette période ?

PMS : Bravo, vous parvenez à me bluffer encore une fois ! Il est rarissime que l'on me parle de Dharkold. Cela nous ramène au temps si sympa de la Semic Team. Oui, effectivement, en 1982, alors que j'étais un jeune punk, c'est Countess Bathory de Venom qui m'a révélé l'existence de la sulfureuse Erzébeth. Par la suite, je me suis documenté sur ce personnage pour le moins terrifiant, car réel, contrairement aux monstres chimériques. Peu à peu, la comtesse a rejoint mon panthéon personnel des ennemis à opposer à mes héros. Dans Dharkold, plutôt que de ressortir Dracula un peu trop utilisé à l'époque, j'ai opté pour Erzébeth, dont je faisais une sorte de maîtresse SM contemporaine. Pour autant, en ces premiers jours du vingt et unième siècle, je ne prévoyais absolument pas de lui consacrer un roman douze ans plus tard. Cette idée a germé un peu par hasard, au cours d'un déjeuner avec mon pote Matt Saintout (ex. de la Semic Team), directeur du label Eclipse chez Panini.

H : Dans Comtesse Bathory, vous contez l'histoire de cette femme d'une façon originale, plus attachante et plus humaine. Était-ce une volonté que vous aviez dès le début, à la lecture de sa biographie ?

PMS : Oui. D'une part, je ne voulais pas raconter encore une fois la même chose, la comtesse ayant inspiré beaucoup de romanciers, musiciens et autres auteurs BD. De l'autre, je suis intrigué depuis longtemps par son parcours sanglant et les questions sans réponse de cette terrible histoire. On ne saura jamais si elle a commis tous les meurtres qu'on lui attribue. Mais il semble avéré qu'elle s'est rendue coupable d'une partie, au moins, de ces atrocités. Belle, riche, puissante, autonome (une fois son époux mort au combat, elle ne se remaria pas), elle n'avait a priori aucune raison de sombrer dans l'horreur. Je me suis donc attaché à tenter de comprendre ses motivations. La consanguinité et les mauvaises influences (on trouve un sorcier, une nécromancienne et deux vieilles harpies rebouteuses dans son entourage proche) n'expliquent pas tout. Dans Comtesse Bathory, je présente ma version des faits, je remonte à la source du mal en mélangeant éléments réels et fiction. Je ne souhaitais pas faire de la comtesse un personnage manichéen. C'est sa progressive descente aux enfers que je relate, en m'attachant à sa dimension psychologique. Au début de mon récit, elle doute, craint pour le salut de son âme, répugne à tuer quelqu'un. Et, jusqu'à la fin, elle aimera ses enfants. Tout cela ne tend pas à la réhabiliter, bien sûr, mais fait d'elle un monstre profondément et terriblement humain. Et je suis très content que vous l'ayez perçu de cette manière. Cela prouve que j'ai accompli ma mission :)

H : L’ensemble de vos ouvrages mélangent souvent faits et personnages historiques avec fiction. Est-ce que les auteurs de romans historiques ont bercés votre enfance ?

PMS : Paradoxalement, non. Je ne lisais que des BD et quelques romans (Bob Morane, Doc Savage) peu concernés par le passé et l'Histoire. J'ai l'impression que c'est un peu comme avec l'époque médiévale, une question de fascination. Au collège, l'Histoire était une des rares matières pour laquelle j'éprouvais un réel intérêt. Depuis que j'écris, confronter des personnages historiques à mes héros ou méchants m'amuse et passionne. Au fil des romans, cette caractéristique a tendance à devenir un peu ma marque de fabrique, c'est vrai. Mais après tout, l'histoire de l'humanité ne reste-t-elle pas le plus riche des romans ?

H : Alors que l'on aurait tendance à vous cataloguer dans une catégorie de romancier, vous participez en 2013 à l'anthologie de Jean-Marc Lainé, Dimension Super-Pouvoirs (éditions Rivière Blanche), avec une nouvelle intitulée Master and servants, sous votre vrai nom. Est-ce la suite logique de votre passion pour les comics américains ou une volonté de refuser de vous cantonner à un seul genre ?

PMS : Disons que je voulais faire un clin d'œil aux super-héros Marvel enchanteurs de mon adolescence. Et surtout avoir le plaisir de collaborer le temps d'une nouvelle avec mon pote Jim Lainé (encore un ancien de la Semic Team, décidément, quelle mafia) :)

H : Dans votre biographie, il est signalé que vous storyboardez pour des pièces de théâtre. Pouvez-vous nous parler de ce travail ?

PMS : C'est une tâche assez amusante qui consiste à dessiner et découper en de nombreuses séquences la totalité des scènes d'une pièce. La même chose que pour un film, en fait. Il faut représenter les personnages et les décors dans de petits tableaux dont le metteur en scène se servira ensuite pour raviver sa mémoire et diriger ses comédiens. En général, on travaille au crayon, sans passer par l'étape de l'encrage. C'est une façon différente de faire de la BD et cela permet de travailler en équipe. Une expérience vivifiante, donc, mais qui reste secondaire dans mes activités. En outre, je n'ai plus le temps, actuellement, de me livrer à de tels travaux. Un de ces jours, je recommencerai peut-être...

H : Est-ce important pour vous la création de votre blog ?

PMS : Oui, certes. Aujourd'hui, le Net et les réseaux sociaux sont devenus incontournables et représentent un espace privilégié pour communiquer avec les lecteurs. Il serait donc dommage de se priver de tels outils. D'ailleurs, je présente aussi mon actualité régulière sur ma page d'auteur ainsi que sur facebook.

Bien, j'espère n'avoir pas été trop bavard, comme on me le dit parfois :) Merci encore pour cette interview dense et originale, Hanako !