Les Chroniques de l'Imaginaire

Sous le soleil jaguar - Calvino, Italo

Fin de siècle dernier, un homme entre dans une parfumerie, non pour associer un parfum à une femme, mais pour retrouver la femme qui se cache derrière un parfum....

Tel est le concept de Le nom, le nez, première des trois nouvelles contenues dans cet ouvrage. Italo Calvino avait initialement prévu d'écrire sur les cinq sens. Il n'aura eu le temps que de composer trois histoires courtes sur l'odorat, le goût et l'ouïe.

Cette première nouvelle constitue une entrée en matière un peu rude. Les idées sont extraordinaires, et la construction même de l'histoire soutient parfaitement l'obsession qui semble s'être emparée des trois mâles, dans trois époques différentes. Pourtant, les entrecroisements d'histoires sont tellement brusques, fréquents et répondant chacun à un rythme qui lui est propre, qu'il est bien difficile de démêler le cours de l'histoire. Le concept est peut être un peu trop lourd à porter pour une histoire d'à peine une quinzaine de pages. On perd rapidement le fils conducteur, et pour certains peut-être l'envie de poursuivre la lecture... ce qui serait dommage au vu de la seconde histoire.

Le goût donc sera servit dans Sous le soleil jaguar, qui donne son nom au recueil. Cette nouvelle est, des trois présentées, indubitablement la meilleure. Il nous est présenté le chemin initiatique d'un couple dans lequel la communication s'est brisée, un couple qui ne communique plus que sur les sens, ou plutôt grâce au sens du goût, et au travers de la nourriture mexicaine.

Cette course en avant du couple est particulièrement bien servie par le trait incontournable d'humour noir qui caractérise si bien Italo Calvino. Une vraie réflexion sur la place de la nourriture et sur l'acte de manger en soi, sur l'éveil des sens, et certainement aussi sur la compensation de la perte de l'un d'entre eux par l'exaspération d'un autre.

Enfin, Un roi à l'écoute clôture ce recueil. A nouveau une nouvelle d'excellente qualité où l'ouïe trouve toute sa place, et où la démesure prend aussi son rang. L'imagination de son roi qui refuse de quitter son trône, ainsi que les bruits qui montent jusqu'à lui sont présentés une nouvelle fois avec une plume extraordinaire.

Globalement, les nouvelles sont à l'image de l'écriture de Calvino : de bonne facture, mais il se dégage de cet ouvrage une sensation de malaise qui, personnellement, ne m'a pas vraiment quittée durant toute ma lecture. Cela tient certainement d'un coup de maître de l'auteur qui parvient, malgré une certaine forme "d'élitisme" parfois, à créer toutes les conditions de ce malaise et à les maintenir malgré les récits différents et les changements de personnages. C'est incontestablement signe d'un grand talent, mais je ne suis pas sûre pour autant d'y avoir pris un grand plaisir. Cette gène persiste, au moment même d'en rédiger la chronique. Voilà une incroyable capacité à faire réfléchir, à défaut de faire voyager...