Les Chroniques de l'Imaginaire

Les enfants solitaires du Pays-à-l'endroit (La clé des voûtes - 1) - Debanne, Jean-Paul

Nathanaël, neuf ans, se sent aspiré dans un tunnel noir et se dirige vers une lumière aveuglante. Sur la paroi du tunnel, un oiseau lumineux lui parle et le guide. Il lui recommande de regarder vers le haut et de le suivre en évitant surtout de regarder en bas. Au début, tout se passe bien, jusqu'à ce que le garçon se sente capable de voler par lui-même et détache son regard de l’oiseau. Le résultat ne se fait pas attendre, c’est la chute sans fin, la joie est remplacée par un sentiment de culpabilité et de désespoir de plus en plus marqué à mesure qu’il perd de l’altitude. Alors qu’il pense être sur le point de s’écraser au fond du gouffre, un aigle géant surgit en piqué et rattrape Nathanaël qui atterrit sur son dos. L’aigle le ramène en sécurité sur le sommet d’une montagne, lui montre de l’amour et prend soin de l’enfant qui reconnaît en lui l’Aigle-Sagesse.

Le lecteur comprend tout de suite que Nathanaël expérimente une NDE (near death experience / expérience de mort imminente en français), mais lui-même ne s’en rend compte que beaucoup plus tard. Le lendemain, l’Aigle Sagesse apprend à l’enfant à voler, il s’agit de la première des dix épreuves qu’il subira, mais il ne pourra pas voler tout le temps, seulement quand l’Aigle-Sagesse le lui ordonnera pour aider quelqu'un. Nathanaël s’appelle désormais Présent du Roi et apprend que le monde qu’il croyait vrai est le Pays à l’Envers, il découvre aussi le Vent-Murmurant qui lui souffle des paroles ou des idées au fond de son cœur. Alors qu’il se repose au sommet de la montagne, il voit une fille tomber en hurlant dans le vide et reçoit comme première mission d’intercepter la demoiselle en danger.

Bérénice s’avérera être une adolescente grincheuse et difficile à vivre, pleine de rancœur et de frustration. Les deux enfants sont prêts à se lancer dans une grande quête à la recherche de leur vrai moi. Comme dans tout récit de fantasy, les épreuves et les créatures surnaturelles ne manqueront pas et nos deux héros vivront une aventure qui les transformera.

Cette trilogie est très ambitieuse, elle a pour but de délivrer le message chrétien sans employer le langage religieux dans la lignée de Le monde de Narnia. L’auteur veut offrir autre chose aux enfants et aux adolescents que les romans à succès malsain(t)s tels la saga Harry Potter ou d’autres du même type centrés sur la sorcellerie ou les vampires et autres créatures des ténèbres à la mode. Il veut rédiger une parabole avec un message d’espoir qu’on pourrait lire à deux niveaux, soit au premier degré comme un récit d’heroic fantasy ou un conte dans le style de Le petit prince, soit au niveau de son sens spirituel qui est le message de l’évangile. Le pari est-il réussi ? Oui et haut la main. Le lecteur qui désire s’en tenir au sens premier y verra un conte plein de tendresse et d’optimisme ainsi qu’un message d’espoir alors que le lecteur chrétien découvrira une parabole assez fabuleuse. La nouveauté de cette dernière rend le message très percutant et efficace.

L’inconvénient des paraboles bibliques est qu’on a l’impression de les connaître tellement que le sens en est émoussé. La clé des voûtes nous offre une parabole moderne dans laquelle le lecteur familier de la Bible reconnaîtra de nombreux passages et les redécouvrira avec un regard neuf. Les lecteurs chrétiens adultes y trouveront largement leur compte et seront touchés par ce récit. L’auteur réussit l’exploit d’expliquer de façon claire et simple des notions aussi compliquées que celle de la Trinité, sur laquelle des centaines d’ouvrages théologiques bien complexes ont été écrits. Avec ce récit, un jeune lecteur peut saisir cette idée clairement, ce qui n’est pas un mince exploit de Jean-Paul Debanne.

Il est indiqué que le livre s’adresse à des lecteurs de sept à soixante-dix-sept ans selon une formule bien connue, mais je pense qu’il ne s’adresse guère à des enfants de moins de dix ans. Si le début est très simple et met en scène des enfants ordinaires, ils évoluent au cours du livre et je pense qu’un enfant de sept ans n’est pas à même de comprendre où Nathanaël arrive à la fin du livre. Le seul point que j’ai trouvé négatif et ennuyeux, ce sont les néologismes avec lesquels le héros s’exprime par moments. Ils sont censés refléter un langage enfantin, mais qui décadre par rapport à sa maturité, on verrait plutôt un petit de cinq ou six ans parler ainsi. Heureusement il n’y en a pas trop et un lexique les explique tant bien que mal, mais il n’apportent rien au livre.