Les Chroniques de l'Imaginaire

Arab Jazz - Miské, Karim

Ahmed vit dans le dix-neuvième arrondissement de Paris, c’est un jeune homme marginal. Il a été traumatisé en assistant accidentellement à un meurtre et depuis il est en arrêt de travail pour dépression. Il est en plus un peu autiste. Il vit totalement replié sur lui-même et ne sort que pour aller à l’épicerie du quartier, vu qu’il faut bien manger, et surtout pour aller à la librairie de Monsieur Paul où il achète des polars anglo-saxons au poids. C’est sa seule passion et il en a accumulé pas moins de deux tonnes et demi dans son appartement. Il est en secret amoureux de sa voisine du dessus, Laura, une hôtesse de l’air dont il prend soin des orchidées quand elle est absente. Il vit dans son univers imaginaire de polars et lorsqu’il découvre le corps mutilé de Laura en allant arroser les fleurs, il craint d’être le suspect idéal, ayant les clés de l’appartement.

L’enquête est confiée à un duo d’inspecteurs de choc, Jean Hammelot, un Breton un peu bizarre, et Rachel Kupferstein, une Juive ashkénaze. Ils ont peu de points communs en dehors de leur passion pour le cinéma. Ils sont les intellos du commissariat, mais ils sont très efficaces dans leur fonctionnement professionnel. Rachel est tout de suite attirée par le jeune Arabe paumé et réciproquement. Ahmed est très rapidement mis hors de cause, contrairement à ses angoisses. Il décide toutefois d’enquêter sur ce crime pour aider la police et surtout venger cette femme qu’il aimait secrètement.

La police penche pour un crime rituel tout d’abord, tandis qu’Ahmed sort enfin de sa léthargie et laisse ses oreilles traîner dans le quartier. Il s’intéresse tout particulièrement à une bande de jeunes, anciens rappeurs reconvertis dans le fondamentalisme religieux juif ou musulman.

Même si on connaît l’identité de l’assassin aux deux tiers du livre, ce n’est pas grave, l’essentiel est ailleurs. En particulier dans les personnages principaux qui sont très attachants et bien construits. Le quartier est aussi un personnage à part entière. On y découvre un melting-pot où les choses ne paraissent simples qu’en surface. Les fanatismes religieux s’y combattent, qu’il s’agisse des musulmans salafistes, des juifs Loubavitch ou des témoins de Jéhovah, mais ne manquent pas de trouver un terrain d’entente quand il s’agit d’argent, sous l’œil plus ou moins complice de flics ripoux. Vous rajoutez un voyage à New York, une jeune fille juive qui fugue pour éviter le mariage forcé que sa famille a prévu, l’invention d’une nouvelle drogue de synthèse, quelques personnages secondaires pour brouiller les pistes et vous obtenez cet excellent polar dont le titre est une référence et un hommage à James Ellroy et son White Jazz.

Si ce livre est incontestablement une réussite et qu’il traite de façon très intéressante de thématiques actuelles comme le communautarisme, la montée des intégrismes et le désenchantement du monde, le début du texte est noyé dans un torrent de références culturelles, que ce soit des polars, de la musique ou des films. Comme il y en a trop, on se sent un peu perdu. Heureusement on accroche très vite à cette histoire et on espère que ce livre est le début d’une série et pas une histoire unique.