Les Chroniques de l'Imaginaire

La vallée des masques - Tejpal, Tarun

Kama vit sa dernière nuit, sa compagne dort et il enregistre le récit de sa vie. Il sait que ses anciens compagnons vont le retrouver et venir l’exécuter selon le rituel de leur secte, c’est à dire le saigner comme un poulet. Le narrateur raconte en alternance son présent, avec la découverte des valeurs humaines, et sa vie dans la secte.

Le roman se passe en Inde et cette secte (imaginaire, mais fortement inspirée de faits réels) a été crée par Aum (le son primordial) et son second Ali (comme le numéro deux de l’Islam). Ils se sont retirés dans une vallée perdue et inaccessible de l’Himalaya avec leurs adeptes. Ils ont voulu créer une société respectant une parfaite égalité entre les hommes (au sens masculin du mot). Kama a suivi toutes les étapes, allant de l’exercice physique à la méditation, et a peu à peu gravi les échelons de cette société secrète. Il est devenu X 470, a porté le masque qui rend tous les visages égaux et a pu rejoindre la caste des guerriers, les Wafadar. Ce sont des soldats parfaits, sanguinaires et cruels, ils sont impitoyables avec les plus faibles. Kama désire s’élever dans la hiérarchie du groupe, il aimerait intégrer l’élite proche des deux dirigeants.

Les initiations sont de plus en plus cruelles et, pour appartenir à la crème de la secte, Kama doit purifier Le Nid des handicapés, où se terrent les "déchets" de cette société impitoyable.

Les femmes sont aussi traitées avec cruauté. Les jeunes filles sont violées par un des dirigeants après leurs premières règles, ce qui s’appelle l’initiation par l’Eveillé ; les plus jolies sont envoyées dans le Sérail des Bonheurs Fugitifs (un bordel). Les enfants ne sont pas élevés par leurs parents, mais en collectivité, même s’ils finissent par savoir qui est leur mère. C’est une femme révoltée par son sort qui ouvrira finalement les yeux du héros et le poussera à s’enfuir dans l’outre-monde (la société normale) où il découvrira l’amour et la musique.

Il s’agit d’une fable philosophique qui dénonce de façon virulente les sectes et les régimes totalitaires avec leurs délires et leur négation de l’individu menant à la violence, la recherche de pureté entraînant la purification (ethnique ou autre). Le livre est plein de références au monde de l’hindouisme, à l’Islam (avec Ali) et aux régimes totalitaires qui ont régné au siècle dernier, qu’il s’agisse du maoïsme (la longue marche) ou du nazisme (Lebensborn, extermination des handicapés, vision de la femme). C’est un livre très prenant et passionnant. On suit le héros dans ses pérégrinations, on est horrifiés devant la cruauté de certaines scènes, on espère qu’il arrivera à s’échapper. Malgré toutes les différences culturelles qui nous séparent de Kama, on entre facilement dans son récit et dans sa tête.

L’auteur veut montrer comment on crée des mythes et comment on les utilise pour opprimer les hommes, son livre se veut un plaidoyer pour le pluralisme. Il est écrit dans une très belle langue, très agréable à lire, malgré certaines scènes parfois insoutenables.

Un très belle découverte qui a eu un succès mérité lors de sa première parution en français en 2012.