Les Chroniques de l'Imaginaire

Haute-École - Denis, Sylvie

Les Dieux ont donné la magie aux Hommes. Puis, voyant comment ceux-ci s’en servaient à de mauvaises fins, ils sont partis en les abandonnant derrière eux. Depuis, être magicien n’est pas un sort enviable. Dans le Royaume Intérieur, les magiciens sont éliminés à la naissance. Dans le Royaume Extérieur, ils sont enrôlés dès leur plus jeune âge à la Haute-École, où ils vont apprendre à mettre leurs dons au service de l’état. Cependant, cette idée de base a été pervertie depuis longtemps : la soi-disant éducation apportée par la Haute-École sert principalement à asservir les jeunes élèves en leur ôtant toute volonté propre ; les magiciens ne sont que des esclaves, enchaînés (littéralement) à leur tâches, qu’ils sont condamnés à répéter inlassablement jusqu'à la folie.

Bien sûr, tout système aussi brutal et extrême ne peut qu’avoir des opposants. Certaines enfants aux pouvoirs émergents arrivent à échapper aux Chasseurs, qui traquent les futurs élèves de la Haute-École jusqu'au plus profond des campagnes. S’ils arrivent à rejoindre les magiciens clandestins, ils ont alors une chance de survivre. Ces dissidents rêvent de mener un jour la lutte pour pallier à l’injustice de leur sort, mais agissent peu.
L’arrivée au pouvoir de Hérus Tork, magicien aussi puissant que vicieux, va changer cet état de fait. Le nouveau directeur de la Haute-Ecole a des idées, beaucoup d’idées pour augmenter le prestige de l’école et acquérir ainsi plus de pouvoirs : eugénisme pour faire naître plus de magiciens à exploiter, mécanisation de la magie grâce à des expériences en vue de pomper le pouvoir d’un magicien et le restituer à la demande, etc. Pour les magiciens, des temps très sombres s’annoncent si Tork n’est pas contré. C’est pour cela qu’Arik Renshaw, brillant magicien clandestin infiltré au plus près du trône, pousse les siens à la révolte. Mais que peuvent une poignée de magiciens renégats contre la toute-puissance de la Haute-Ecole ?

Au vu du titre de l’ouvrage, je pensais avoir affaire à un roman centré sur des apprentis-magiciens en cours de formation, du genre de ceux qui ont fleuri depuis le succès de Harry Potter. Pas du tout ! Ici, la Haute-École a beau projeter son ombre sur la vie de tous les personnages, le lecteur ne la visitera guère et ne découvrira pas les détails de ses rouages. Seule son incarnation en la personne du sombre Hérus Tork va être au centre des événements.
Ce roman, c’est plutôt l’histoire d’une rébellion, celle des magiciens qui voudraient retrouver leur liberté et obtenir les mêmes droits que les humains normaux. Un autre groupe d’opposants au pouvoir en place, qui ne s’intéresse guère au sort des magiciens mais voudrait que cesse la guerre interminable et inutile qui oppose Royaume Extérieur et Royaume Intérieur, va également être de la partie. En filigrane, on perçoit donc les thèmes de l’éducation, de l’esclavage, de la guerre…

L’univers n’est pas très fouillé, laissant de côté de nombreux points (comme les limites des dons des magiciens ou les conditions d’utilisation) ou les amenant trop rapidement (par exemple, les causes de la guerre de longue haleine entre les deux Royaumes). Tout cela est écarté au profit de l’intrigue principale et des actions des personnages.
Le rythme est bon, alternant action brûlante et moments plus calmes ; on ne s’ennuie à aucun moment, car le scénario réserve quelques surprises. Par contre, je n’ai pas aimé la fin, qui fait trop deus machina à mon goût : j’aurais préféré que les héros s’en sortent grâce à leurs ressources propres, plutôt que via une aide qui semble tombée du ciel sans préavis (même si malgré tout quelques indices en avaient été jetés précédemment au fil des pages).

Le récit est fait à voix multiples. Suivant les chapitres, on accompagne une dizaine de personnages différents. Comme tout ce beau monde se rencontre assez vite, on vit certaines situations suivant plusieurs points de vue, ce qui nous donne une vue d’ensemble de la situation. Je n’aime pas forcément suivre ainsi en alternance plusieurs protagonistes, mais c’est plutôt bien fait ici, on n’a pas l’impression de perdre de vue l’intrigue principale.
Et parmi la pléthore de personnages, nul doute que chaque lecteur saura en trouver qui l’intéresse plus particulièrement : Arik Renshaw, le courtisan qui est intime du prince ; Madge Mayfield, modeste couturière qui sert un peu de maman poule aux clandestins ; Zorr le lettré, avec ses constantes prises de bec avec Arik bien qu’on devine qu’un lien très fort les unit ; Elisabeth de Siff, jeune noble solitaire qui a réussi à cacher ses pouvoirs malgré son existence au château ; Germain Comsic, auteur de pièces de théâtre engagées ; Sargh le garde courageux ; Ian Bren, jeune garçon peu satisfait de devoir se cacher ; Raoul des Crapauds, embarqué de force pour la Haute-Ecole alors que son seul don est de communiquer avec les grenouilles…

L’écriture de Sylvie Denis est fluide et agréable à lire. Pour ma part, même si le roman n’est pas sans défaut, j’ai vraiment passé un très bon moment.