"Au début, ce n'était qu'une histoire de gosse. Mais ensuite..." (p. 10)
Un homme, trois femmes, mère et maîtresses. Toutes trois magiciennes. Le petit Doutre, élevé en pensionnat catholique, ne se doute pas de l'engrenage dans lequel il met les pieds. Son père est prestidigitateur, on le connaît sous le nom de "Professeur Alberto". Sa mère... Sa mère n'a pas d'existence pour lui, jusqu'au décès de son père. Elle l'a délaissé, et Pierre ne lui a pas manqué tant qu'elle ne le connaissait pas. La famille est sans le sou. Pierre doit prendre la place de son père. Il ne sait rien faire de ses dix doigts, mais ne se voit de toute façon pas retourner en pensionnat à vingt ans. Sa mère s'érige en metteuse en scène, elle lui impose un formateur et lui adjoint des jumelles, magnifiques et maléfiques. Elles jouent avec Pierre Doutre. L'une est l'autre. L'une le veut, l'autre le rejette. Et toutes deux ne parlent qu'allemand. Au début la mère s'en amuse, puis regrette d'avoir jeté son fils en pâture au doublon. Car elles jouent de leur ressemblance dans la vie et sur scène.
Un huis clos où une mère devient louve, où l'amour devient un cauchemar, où la magie de l'ubiquité devient réalité. Les magiciennes manipulent la réalité et les hommes. Et le meurtre vient ponctuer l'ordinaire. Les accessoires de prestidigitation sont des armes et la vérité, une fiction. Tout se mêle dans ce polar tendu, l'angoisse latente étant suggérée par les maîtres français du roman noir. Pierre Boileau et Thomas Narcejac ont fait du roman à quatre mains une spécialité pour adultes et pour enfants (on se rappelle avec joie les aventures de leur Sans-Atout). Subtilité de langage, immersion psychologique proche du monologue intérieur, tension électrique, tout est fait pour que les longueurs semblent naturelles. Les redondances même ne font que renforcer l'intrigue. Bien sûr, comme dans tout bon polar, on finit par savoir qui est le meurtrier, mais ce n'est pas vraiment ce qui compte. Ce qui compte, c'est la délectation de la lecture et le plaisir presque malsain de s'immiscer dans un quotidien glauque pour en percer les failles.
On relit donc avec bonheur ce roman, réédition en poche d'un des fleurons d'une prolifique production.