Lemashtu (Chroniques des stryges - 1) - Li-Cam

Lem s’ennuie au pensionnat St Charles de Londres. Il faut dire qu’à part ses deux tuteurs et son professeur particulier, tous très rigides, le jeune homme n’a pas le droit d’approcher qui que ce soit. Il prend ses cours en solitaire, et même ce qu’il apprend est soigneusement sélectionné : ses manuels de biologie sont curieusement découpés au niveau des chapitres sur la reproduction humaine, par exemple.
Il y a cependant une excellente raison à cette ségrégation totale : Lem est dangereux. Il pourrait bien nuire à ceux qui l’approchent sans l’avoir prémédité. Car Lem, de son nom complet Lemashtu Miazza Noptii Dracul, est un descendant de Vlad Dracul l’Empaleur. Comme son ancêtre, il est également l’un des plus puissants strigoï de sa génération, un voïvode. Ses pouvoirs mortels, il les a déjà utilisés à son corps défendant alors qu’il n’était qu’un enfant, pour sauver sa vie alors qu’on le faisait échapper du ghetto où le gouvernement roumain tient son peuple enfermé.
Mais voilà que le Vatican, qui encadre les strigoï vivants hors de la zone de confinement, prend deux décisions qui vont changer la vie de Lem. La première, c’est l’arrivée à St Charles de Liéga Bathory, un autre strigoï de l’âge de Lem – quoique beaucoup moins puissant – qui va ainsi devenir son ami. La deuxième, c’est l’autorisation pour les deux jeunes strigoï de se mêler à leurs camarades collégiens humains. Des garçons de leur âge… mais aussi des filles, qui vont réveiller en Lem des désirs qu’il ne comprend pas vraiment…

Encore une histoire de vampire et d’adolescents qui font l’apprentissage de la vie, pourrait-on penser. Avec la mode récente pour la bit-lit, c’est vrai qu’on voit beaucoup de beaux ténébreux buveurs de sang dans la littérature actuelle, généralement plutôt gentillets. Mais ceux de Li-Cam sont différents, plus proches de la version Dracula, ce qui change agréablement. Leur côté sombre est vraiment au centre de leur personnalité. Ils doivent boire du sang et assouvir leurs instincts, mais s’ils se laissent entraîner trop loin par leurs penchants alors ils basculent irrémédiablement du côté obscur, devenant des moroï, des monstres sanguinaires. Cette malédiction qui peut toucher tous les strigoï est en apparence le plus grand danger qui les guette.
Il y a cependant une menace plus importante encore : une branche renégate du Vatican s’est donné pour but de délivrer le monde du mal incarné. Ses membres, des fanatiques, traquent inlassablement les strigoï pour les éliminer. Or au fil des années, les strigoï sont devenus de moins en moins nombreux, leur sang s’est affaibli et les castes les plus puissantes ont disparu peu à peu. Lem pourrait bien être le dernier voïvode !

L’univers, une version alternative du nôtre, est vraiment bien construit et intéressant. Dans cette uchronie, une mutation a engendré des strigoï, des gens plus forts mais qui doivent boire du sang pour survire. Après avoir été les alliés des humains, ceux-ci se sont finalement retournés contre eux et les ont décimés. Désormais, les strigoï luttent pour leur survie.
On découvre le contexte à travers l’histoire de ce qui arrive à Lem, mais également via des archives du Vatican dévoilant par exemple le passé d’autres personnages ou des fiches récapitulatives sur les différentes castes strigoï, qui viennent en alternance avec le récit principal. Tout vient à point pour former un récit parfaitement cohérent.

Tous les personnages principaux ont une vraie consistance psychologique. Le personnage le plus abouti est bien évidemment le jeune voïvode, Lem. Le pauvre a été tellement sur-protégé qu’il ignore tout du monde dans lequel il vit, même ce qui concerne son propre peuple. Quant à ses pouvoirs, pour le moment il les trouve plus effrayants qu’utiles. Et pourtant, malgré toutes ces difficultés, il fait bonne figure et essaie de faire au mieux. C’est un personnage vraiment attachant. Ses amis humains sont également très sympathiques, mettant rapidement de côté leur peur initiale.
Quant aux tuteurs de Lem (le père nosférat Féhik Alamédù et le nekurat Aratar Déochetor), malgré un côté mystérieux et assuré qu’ils cultivent soigneusement en se montrant stricts et peu engageants, ce qu’on apprend de leur passé nous prouve bien qu’ils ne sont finalement eux-aussi que des êtres torturés par le destin, soumis au doute et aux erreurs. Seul le personnage de Liéga m’a semblé un peu palot et sous-exploité dans l’intrigue, bien que sa présence soit bien pratique pour introduire celle de son précepteur !

J’avoue que si le début m’a paru parfois un peu trop délayé, un peu trop classique, je me suis vite trouvée prise dans cette histoire finalement plutôt originale. La plume est belle et agréable et on plonge immédiatement dans cet univers au côté du jeune héros et de ses amis. Si les mystères et la tension liée à la menace sur la vie de Lem maintiennent le suspense, les touches d’humour et d’amitié, voire d’amour, permettent également de relâcher la pression et de rendre cette lecture très plaisante.
Mon plus gros regret concerne la fin, trop ouverte pour vraiment satisfaire mes envies. Déjà fini ?! La bataille est gagnée, mais pas la guerre ! De plus, la dernière page - une ultime fiche descriptive - est particulièrement frustrante tant elle laisse de questions. Heureusement, une suite (intitulée Însângerat) vient de paraître, qui je l’espère sera d’aussi bonne qualité et saura répondre à mes attentes.