Les Chroniques de l'Imaginaire

Fatale - Headline, Doug & Manchette, Jean-Patrick & Cabanes, Max

Nous accompagnons en pleine nature quelques chasseurs, la plupart cinquantenaires, qui sont assez nerveux de n'avoir encore aucun gibier à leur actif depuis le début de la matinée. Ils finissent par se séparer et l'un d'entre eux rencontre une jolie jeune femme, brune. Le chasseur pensait que cette jeune dame avait quitté la région dans la matinée. Il n'en est rien et le cinquantenaire n'est pas au bout de ses surprises lorsque la dame le met en joue et fait feu, l'abattant de sang froid...

La fille en question, brune, devient rapidement blonde. C'est dans le train qui la mène dans une toute autre ville qu'elle prend le temps de se changer totalement. Un train de nuit qui l'emmène dans une autre ville, Bléville. La jeune femme, maintenant blonde, se fait appeler Aimée Joubert, et après quelque repos à l'hôtel, elle entame la tournée des notables de la région, à commencer par le notaire, Lindquist, qui la prend immédiatement dans ses bonnes grâces, acceptant rapidement de présenter Aimée aux autres notables de Bléville.
Rapidement, Aimée est connue de tout le joli monde privilégié de Bléville, jouant au golf avec les hommes, ou aux bridge avec leurs épouses. La région est principalement sous le contrôle de Lorque et Lenverguez, les deux patrons de l'usine du même nom, qui fabrique et vend des aliments en boîte de conserve, des petits pots pour bébé et ce genre de choses. De grands patrons véreux qui, Aimée s'en rend compte en creusant un peu, se détestent royalement malgré les apparences. Et puis, il y a ce baron Jules, un être à part dans le paysage de Bléville.

Le baron est un homme qu'Aimée rencontre dans de bien étranges circonstances, mais qui gagne à être connu lorsqu'on souhaite percer tous les secrets de Bléville. Même s'il passe pour un original qu'on souhaite éviter tant il n'a pas sa langue dans sa poche, cela fait des années que Jules espionne les habitants de Bléville dans leurs habitudes. Il est en possession de lourds secrets sur l'ensemble des personnages importants de la ville : les patrons, le docteur, le journaliste attitré, personne n'en réchappe. Et lorsqu'un scandale éclate suite à une intoxication alimentaire qui commence à faire beaucoup de morts, la véritable raison de la présence d'Aimée à Bléville ne va pas tarder à se révéler...

Autant être clair : ce nouveau one-shot, imposant avec ses 136 planches, est un nouveau choc de la collection Aire Libre de Dupuis. En tant qu'amateur de polars et d'histoires noires, tout lecteur de bande dessinée qui se respecte se devra de se procurer ce Fatale de Doug Headline au scénario et Max Cabanes au dessin, adapté d'un des meilleurs polars de Jean-Patrick Manchette. Il est à noter que c'est la seconde fois qu'un roman de Manchette est adapté dans la collection, après les deux très beaux tomes de La Princesse du sang.

Le lecteur ne pourra donc que s'attacher à suivre cette fille, qui se révèle assez rapidement être une tueuse froide, dès le début du volume, et qui semble aller de ville en ville pour y perpétrer ses crimes au nom de ce qu'il vous restera à découvrir. Les magnifiques dessins de Max Cabanes aident le lecteur à s'attacher à ce personnage principal, parfaitement croqué, avec des poses, des situations, des instants d'une grande féminité parfaitement captés par le dessinateur. Les couleurs et la lumière jouent aussi un grand rôle, renforçant une expression dans des cadrages serrés, ou baignant tel ou tel dialogue dans une ambiance tamisée, parfois presque glauque, qui sert parfaitement ce genre de récit. Le livre aurait tout aussi bien pu s'afficher auprès des meilleurs titres de la collection Rivages Noirs chez Casterman.

Que dire de plus, si ce n'est qu'avec ce nombre impressionnant de planches, le récit a parfaitement le temps de présenter efficacement les personnages, tout en étant mené à un train d'enfer, mais avec des pauses salutaires qui permettent d'admirer les superbes cases, jamais laissées au hasard. Une très belle découverte en tout cas, que je ne peux que conseiller vivement aux amateurs de polars ou de thrillers, tout en ouvrant le champ à un public plus large qui ne manquera pas d'être conquis par une telle qualité graphique en premier lieu.