Les Chroniques de l'Imaginaire

Zendegi - Egan, Greg

2012, en Iran. Le peuple, qui n'a échappé au Shah que pour tomber dans les griffes de mollahs plus impitoyables encore, gronde. La révolution est en marche. Martin, journaliste australien envoyé couvrir les événements, prend vite fait et cause pour les rebelles.
De son côté, Nasim a quitté l'Iran depuis longtemps. Après l'assassinat de son père par le pouvoir en place, elle a fini par trouver refuge aux États-Unis. Son boulot de chercheuse la satisfait pleinement, mais le projet auquel elle rêve de participer (le Projet Connectome Humain, c'est-à-dire la recherche d'une carte générique du cerveau humain) est en manque de financement. Et devoir assister de loin aux événements qui ébranlent son pays la frustrent énormément.

Les lecteurs familiers de Greg Egan risquent d'être déroutés par la première partie du roman, présentant les personnages principaux dans un contexte très actuel (même si évidemment, le cours des choses en Iran n'a pas suivi la version imaginée ici il y a quelques années). C'est quand même près de cent soixante pages qui n'ont rien à voir avec la science-fiction, encore moins avec la hard-science à laquelle l'auteur nous a accoutumés. Pour ma part, j'ai même été vérifier sur le site de l'éditeur que cet ouvrage appartenait bien à sa collection de science-fiction, même si la couverture signée Manchu ne laissait guère de doute.
Cette première partie au rythme plutôt lent nous permet donc de découvrir le côté très humain de Martin et Nasim. Le premier peine à se remettre du départ de sa compagne. La seconde a été marquée à vie par le sort de son père et son propre exil, s'imaginant devoir poursuivre la lutte à la place de son père. Ce sont donc deux personnages aux fêlures profondes, extrêmement humains et attachants et que l'on suit avec intérêt.

La deuxième partie fait un bond en avant et se déroule quinze ans plus tard. Pas de grand changement au programme : les univers de réalité virtuelle ont atteint un réalisme saisissant, les tablettes sont de plus en plus malines, mais le cancer reste une maladie mortelle dont on a peu de chance de réchapper.
Nasim travaille pour Zendegi, un éditeur iranien d'univers de jeux virtuels. Pour faire face à la concurrence, son équipe décide d'améliorer les Mandatés (les Personnages Non Joueurs, dans le jargon de maintenant) de leurs univers imaginaires en s'appuyant sur ses travaux passés pour le PCH : elle veut créer des entités qui auront plus de souplesse que les modèles actuels dans leur réaction aux événements imprévus, cela étant réalisé en reproduisant le comportement du cerveau humain.
Martin, lui, aimerait qu'une partie de lui survive après sa mort prochaine pour aider à élever son fils selon ses principes moraux. Il sollicite Nasim pour qu'elle crée un Mandaté à son image, qui se comportera comme lui et pourra accompagner son fils lors de ses immersions dans Zendegi...

Ici, on retrouve enfin du pur Greg Egan, avec des problématiques telles qu'il aime les creuser : quelle part d'humanité / de conscience trouve-t-on dans une réplique virtuelle d'un être humain ? Est-ce une forme d'immortalité ? A partir de quel niveau de ressemblance peut-on dire qu'on a un double exact ? De quels droits doivent bénéficier ces entités virtuelles, si elles sont conscientes d'elles-mêmes ?
C'est très intéressant, mais cela m'a semblé en deçà de ses précédents ouvrages, tant les romans que les nouvelles. Si le contexte et les personnages sont plus travaillés, il me semble que le fond du sujet est moins exploité, moins poussé. C'est un mal pour un bien, car cela rend ce roman plus facile à lire que les précédents, abordable par des publics plus variés.

Le côté hard science restant donc assez restreint, la lecture est fluide et agréable et les pages se tournent toutes seules. J'ai particulièrement aimé le fait que l'histoire se déroule en Iran, ce qui est plutôt dépaysant pour des Européens : en sus de la vie de tous les jours, nombre de jeux virtuels proposés dans Zendegi s'appuient sur le Shâhnâmeh, un poème épique retraçant l'histoire de l'Iran (à partir de la mythologie, ce qui permet d'en tirer des jeux de type fantasy intéressants) et qui est une œuvre littéraire incontournable dans ce pays.

Si ce roman peut donc décevoir légèrement les attentes d'un fan de l'auteur accro à la hard science, il saura toucher un plus vaste public. Je le conseillerai sans hésiter à tous ceux qui veulent découvrir cet auteur, car pour ma part je l'ai dévoré avec beaucoup de plaisir.