Nous sommes à New-York, en 1970. Paul est un être assez spécial : d'abord, il exerce le métier de tatoueur dans la Grosse Pomme, et de temps en temps, comme aujourd'hui, la police new-yorkaise fait appel à ses services lorsqu'elle prend la déposition d'un témoin. Paul n'a pas son pareil pour dessiner la tête d'un truand, juste lorsqu'on lui en fait la description orale. Bref, Paul a un talent incroyable pour le dessin, et c'est un être qui sent les choses, avec une espèce de sixième sens qu'il a dû se forger dans sa jeunesse. Et pour cause...
Paul reçoit de temps en temps la visite d'Azami, la jeune fille de sa compagne. Azami s'intéresse aussi au dessin, mais elle n'a jamais encore pu voir les tatouages de Paul. Alors, aujourd'hui, il va enfin lui raconter son passé, se projetant à Moscou en 1947. C'est là que lui et ses parents sont venus en provenance des États-Unis, pour que son père travaille pour le cinéma russe. Malheureusement, la famille américaine ne s'est vraiment pas trouvée au bon endroit au bon moment, au démarrage de la guerre froide. Paul et ses parents ont été amenés dans des conditions déplorables en Sibérie, dans la province de la Kolyma.
Là, c'est le goulag pour les parents de Paul, et un effroyable orphelinat pour Paul, qui parvient à se faire respecter grâce à la qualité des tatouages éphémères qu'il peint sans relâche sur les corps des caïds du coin. Paul parvient à entrer dans les bonnes grâces de la gardienne en chef, une russe immense qui profite de la situation pour abuser des enfants, une fois la nuit tombée. Mais c'est le prix à payer pour sortir de l'orphelinat et rencontrer Kirik-La -Baleine, le pakhan le plus puissant des environs.
Peu à peu, Paul parvient à rencontrer Kirik, et à apprendre l'art du tatouage pour devenir son tatoueur officiel. Un poste clé pour rencontrer d'autres pakhans, et pour espérer revoir sa mère, qui fait partie du harem de l'un d'entre eux...
Et pendant que Paul raconte ses souvenirs, le présent cache d'autres sombres événements, avec les viols et les meurtres de femmes, dans les sombres ruelles de New-York. A chaque fois, le mode opératoire est le même, avec un individu qui se cache le visage dans un bonnet rouge de père Noël, et dont aucun témoin ne peut faire la description. Paul a du mal à sentir le meurtrier, et émet même l'hypothèse que l'individu n'est sans doute pas seul...
C'est Jérôme Charyn, qui connaît New-York comme sa poche, qui nous emmène dans sa ville à travers ce one-shot qui paraît chez Le Lombard, dans la collection Signé. C'est le présent de ce récit qui se déroule dans la ville qui ne dort jamais, avec ses grandes artères connues, mais également ses ruelles sombres et poisseuses qui sont le théâtre de tant de violences dans l'imaginaire collectif d'aujourd'hui. Et puis, le scénario nous amène dans la Russie, puis la Sibérie, dans l'effroyable passé du personnage principal de ce récit.
La force de ce one-shot est bien là : on suit - et on s'y attache très vite - un personnage intéressant, fouillé, véritablement complexe. Les auteurs vont tout faire pour nous expliquer les réactions parfois à fleur de peau de ce tatoueur à l'apparence si tranquille. Jérôme Charyn ne s'est pas associé à n'importe qui pour confier le graphisme de sa ville et de ses personnages, puisque c'est le lillois François Boucq qui officie ici.
Les dessins du dessinateur de Bouncer sont ainsi une mine de détails, et on se dit qu'il fallait bien un dessinateur de cette trempe pour raconter une histoire où les dessins (le tatouage) occupent une place centrale, presque un personnage à eux seuls. Les plans sont audacieux, les expressions des personnages d'un réalisme bluffant et les décors sont à l'avenant. Mention spéciale pour l'architecture urbaine et pour les mouvements des personnages, notamment la poursuite entre Paul et Bad Santa... Aucune case n'est laissée au hasard et l'ensemble graphique, au service de cette histoire, est tout simplement le signe d'une parfaite association.
Un one-shot fabuleux, un de plus, pour la collection Signé du Lombard !