Les Chroniques de l'Imaginaire

Treis, altitude zéro (Les tours de Samarante - 2) - Merjagnan, Norbert

Après la lecture de Les tours de Samarante, je me pensais familiarisée avec l'univers complexe de l'auteur, mais j'ai dû déchanter en commençant Treis, altitude zéro, me sentant toujours aussi dépaysée.

En effet, Treis, altitude zéro commence avec des personnages que nous découvrons : les Kémal, la marraine... et Joti, que le lecteur ne connaissait jusqu'à présent que comme une enfant de cinq ans dans les souvenirs de son grand frère, et sur laquelle dix ans ont passé.
Heureusement, toutefois, on retrouve les personnages connus : Cinabre, Oshagan, Triple-A, qui de tous a le destin le plus étonnant, le plus étranger. Dans les "nouveaux", Brust Orexen, Gio Marami et Valar de Thirce se détachent au moins autant que Botrak Pashni, dont on n'avait fait dans le premier tome que croiser le nom, ou Itaka Ten. C'est peut-être ce dernier personnage qui m'a le plus fascinée dans ce deuxième tome, par un pouvoir étonnant. Tout en lui est fascinant : il est à part dans l'histoire, et on ne peut que se demander par quels fils sa vie s'entremêle à celle de Maspero Kemal ; par son langage, compréhensible par instants et par raccrocs ; par la théorie stupéfiante qui suppose son existence et qui essaie de montrer comment la pointe de la physique d'une époque peut se transmuer en la magie d'une époque suivante. Cette dernière notion est particulièrement fascinante et vertigineuse pour la lectrice d'imaginaire que je suis. Enfin, la place des machines (il serait sûrement préférable de parler d'intelligences autres) s'affirme dans cet opus.

Véritable suite de Les tours de Samarante - et j'en déconseille tout à fait la lecture à qui n'aurait pas lu son prédécesseur obligé -, cet opus est clairement dans l'attente d'une suite. Certes, il constitue un roman achevé, une période dans l'existence des personnages qui le peuplent et l'animent, mais rien n'est clos à la fin, et le deus ex machina le plus discret, dont on apprend enfin le nom, reste à rencontrer. Pour les maniaques de la classification, parmi lesquels il m'arrive de me ranger, je dirais que finalement ce roman penche plus vers le post-apocalyptique que vers le space opera... mais c'est de si loin (l'Apocalypse dont il y est fait mention est très éloignée dans le temps) que j'hésite toujours à le classer définitivement dans ce sous-genre... et c'est très bien comme ça !
On y retrouve toujours, en tout cas, le style dense, condensé, ondoyant, si intelligent de l'auteur. J'aurais à la fois envie de le maudire et de le féliciter de sa rareté : trop d'auteurs talentueux écrivent trop vite pour répondre à la demande du public (et de leur éditeur), avec la baisse concomitante de qualité, de densité, d'écriture. Mais bien sûr, en tant que lectrice, je rage et hurle que je veux la suite "et tout de suite, bordel !", comme dirait Triple-A.