Nous sommes en 1986, quelques soixante-dix années après la Grande Guerre. Pour autant, cela n'empêche pas un gamin de quatorze ans de venir visiter Verdun, accompagné de ses parents. Le petit gars est parfaitement respectueux des lieux, presque habité par ces derniers. Il est impressionné devant une inscription plantée là, qu'il n'a plus revue depuis : "si tous les morts présents ici se levaient, il n'y aurait pas assez de place dans ces champs pour qu'ils puissent tous tenir debout...".
Alors, le garçon en question grandit et est particulièrement touché, chaque année, lorsqu'il voit encore des Poilus de plus en plus rares et de plus en plus vieux raconter leurs histoires durant ce conflit. Les soldats sont maintenant des vieillards, que les jeunes ont de plus en plus de mal à comprendre. De quoi donner envie au petit gars d'entreprendre lui-même ses recherches, en s'intéressant finalement à de vrais soldats, qui ont connu les tranchées, Verdun et le Chemin des Dames.
C'est ainsi que l'on fera d'abord la connaissance de Charles Péguy, un lieutenant connu et aimé de ses hommes. Un être joyeux et affable, qui n'a pas pu comprendre les choix de Jean Jaurès avant que ce dernier se fasse tuer juste avant le début du conflit. Péguy sera tué à sa première bataille, en conduisant ses hommes. Il ne fallait sans doute pas y aller aussi vite, mais il n'empêche que le courage du lieutenant Péguy deviendra vite un exemple, qui alimentera les conversations de manière durable durant toute la guerre, même s'il est mort en septembre 1914.
Et puis, on s'intéresse non pas à un soldat, mais à Vera Brittain, une Anglaise dont l'histoire démarre avec l'affreux chagrin d'avoir perdu son mari à la guerre. Une femme habitée, qui sera incapable durant toute sa vie d'oublier son aimé, même si ces deux là ne se sont vus que très peu, finalement, avant le début du conflit. Un chagrin qui conduira Vera à prendre elle-même sa place dans cette guerre...
Louis Barthas, Georges Deloche, Gabriel Chevallier qui a raconté sa guerre dans un livre intitulé La peur qu'il raconte si bien, et puis les gamins de cette guerre... C'est à travers cinq histoires, consacrées aux vrais héros de cette guerre, que Kris et Maël redonnent encore consistance à leur série mère, une série qui les aura guidés durant plusieurs années.
Ici, les deux auteurs de Notre Mère la Guerre se sont vus épaulés par nombre d'auteurs, parfois habitués de la galaxie Futuropolis, comme Vincent Bailly (Coupures irlandaises avec Kris au scénario). On retrouve également une histoire dessinée par Hardoc (La Guerre des Lulus) ou encore les magnifiques dessins de Edith, Damien Cuvillier ou Jeff Pourquié.
Chaque histoire a en tout cas le mérite de faire mouche. Les récits ont tous une consistance extraordinaire et bénéficient sans exception de cette narration, cette façon de raconter des petites histoires au sein de la grande Histoire, qui a fait le succès de Notre mère la guerre. On se sent littéralement transportés dans le quotidien, souvent tragique, de ces hommes et de ces femmes, bercés par la narration, le rythme souvent lent qui permet le véritable attachement aux personnages.
Les dessins sont tous à l'avenant : Kris et Maël ont réussi le tour de force de tirer le meilleur de chacun des dessinateurs qui uvrent ici, et le lecteur prendra encore un grand plaisir à découvrir ces pages qui suintent littéralement l'Histoire, et parfois la tranche de vie. Un nouvel album qui fait honneur à la série principale, et dont on ne pourra finalement pas se passer !