Les Chroniques de l'Imaginaire

Les gardiens du Louvre - Taniguchi, Jirô

Un dessinateur japonais est en visite à Paris pour quelques jours. Il se donne trois jours pour voir le plus possible de choses au Louvre, mais l'ennui est qu'il est pour le moment bien souffrant, seul dans cette ville où personne ne parle sa langue. Pour autant, il ne souhaite pas perdre de temps sur son séjour parisien, et se rend au célèbre musée, pour rapidement y suffoquer littéralement, assailli par la foule qui arpente les galeries, diminuant le plaisir des vraies découvertes.

Rapidement, le dessinateur est pris d'un malaise. Il se réveille au bout d'un moment, pour avoir la surprise de se retrouver seul, accompagné d'une mystérieuse dame habillée d'une longue robe ancienne, qui dit vivre là avec d'autres, afin de protéger les lieux. L'homme ignore s'il divague, mais il apprécie immédiatement de se retrouver seul devant le sourire de Mona Lisa ou d'autres œuvres majeures. Son accompagnatrice finit par lui dire qu'elle est tout simplement la Victoire de Samothrace.

Le lendemain, la visite est axée sur un peintre mondialement connu pour ses paysages naturels, puisqu'il s'agit tout simplement de Jean-Baptiste Corot. Un auteur célèbre pour les couleurs et les mouvements qu'il faisait transparaître dans ses arbres, ses paysages. Un auteur très connu au Japon après que Tokutomi Roka l'ait fait connaître dans son pays.

Et puis, le dessinateur japonais se retrouve le lendemain à Auvers-sur-Oise, petit village magique situé dans l'Oise, à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Le dessinateur se promène au milieu des champs et d'une nature bucolique, pour finir par y rencontrer un peintre roux, occupé à dessiner ces paysages tranquilles qui respirent la quiétude. L'homme n'est autre que Vincent Van Gogh et il explique immédiatement à son interlocuteur halluciné la beauté des lieux. Rapidement, Van Gogh amène son hôte à son petit atelier. Pour le dessinateur japonais, le rêve devient réalité, lorsqu'il se retrouve au milieu des originaux de Van Gogh...

Et puis, il y a l'histoire de Jacques Jaujard, directeur des musées nationaux, en 1939, juste avant que les Allemands n'envahissent Paris. C'est à lui que l'on doit le déménagement des œuvres du musée du Louvre, avec la direction de dizaines d'employés qui ont eu à travailler sans relâche pour déplacer rapidement - et sans les perdre ou les abîmer - des milliers d’œuvres d'origines diverses, que l'on peut encore admirer aujourd'hui.

Après des artistes comme Nicolas De Crécy (Période Glaciaire) ou Eric Liberge (Aux heures impaires), c'est un autre immense artiste qui pose sa pierre, et quelle pierre, à l'édifice de la collection Musée du Louvre de Futuropolis. Jirô Taniguchi est considéré par certains comme l'artiste idéal, qui fait le lien entre la bande dessinée traditionnelle franco-belge et le manga. Il est ainsi tout naturel qu'il ait eu à se pencher sur une telle collection, après nous avoir régalé avec Le sommet des dieux, Quartier lointain, Sky Hawk ou d'autres incursions plus traditionnelles, comme le très beau Mon année ou La montagne magique.

On retrouve ici le trait réaliste d'une grande finesse et les magnifiques couleurs pastels, en couleur directe, de cet artiste désormais largement international. On pourrait penser que cela est autobiographique et il y a sans doute une part de vrai dans cet état de fait. Les expressions et les visages sont soignés, d'une grande lisibilité, et les décors sont totalement réussis, en bénéficiant bien souvent de plans audacieux.

Les phases de délires ne sont pas en reste et sont l'occasion de faire ressortir tout le génie graphique de Jirô Taniguchi. On assiste à des explosions de couleurs, on retrouve des reproductions de tableaux d'une grande beauté et on se dit que ce nouveau Taniguchi est tout simplement un vrai travail de fourmi qu'on ne pourra que posséder dans n'importe quelle bibliothèque qui se respecte.

Un travail d'orfèvre pour un musée d'exception, par un artiste qui ne l'est pas moins. On en oublie même l'étrangeté d'avoir ce livre dans le sens d'un manga, chose rare pour Taniguchi.