Quarante ans, ce n'est jeune pour personne, bien sûr. Mais pour une revue littéraire, c'est un âge quasiment canonique. Surtout en littérature de genre : en littérature de l'imaginaire, donc, puisqu'il s'agit de Solaris, qui fête ses quarante ans avec une brochette de quarante auteurs, invités à produire une nouvelle de sept cent cinquante mots maximum.
Ils ont (presque) tous réussi à respecter la limite impartie, et pour cette fois je ne me livrerai pas à l'exercice consistant à donner un résumé et quelques mots d'appréciation pour chacun des textes. Les différents courants des littératures de l'imaginaire y sont représentés, de l'histoire de zombie plus ou moins trash au space opéra le plus échevelé (Métier : figure de proue, de Philippe-Aubert Côté, qui m'a évoqué pêle-mêle Poul Anderson - pour l'aspect "petite annonce" -, McCaffrey et Cordwainer Smith, excusez du peu !), en passant par l'uchronie.
Outre Les Mystères du futur, texte d'un post-apocalyptique discret, de Vonarburg, j'ai particulièrement apprécié Dans la fausse, de Francine Pelletier, non seulement parce que j'aime beaucoup l'écriture de cette auteure, mais aussi parce que je suis moi aussi fascinée par la vraie*, et que ce texte lui est un hommage parfait, à la fois fidèle et très imaginatif ; La Harde, de Laurine Spehner, un beau texte entre réalité et rêve, entre fantastique et fantasy ; Bercement, de Sylvie Bérard, un planet-opera modèle réduit original et curieusement crédible ; Sur la plage, de Julie Martel, pour l'originalité de l'idée, et parce que j'aurais vraiment regretté qu'il n'y ait aucun dragon dans cette revue ; Vitrine, de Christian Sauvé, qui est pour moi un de ces excellents textes de SF qui font vaguement froid dans le dos en me faisant penser "mais... est-ce vraiment de la SF, ce monde où l'on préfère un fantasme de réalité à une réalité concrète décevante et/ou cruelle ?" ; La fille qui lit, de Luc Dagenais, développe de belle manière une idée sans doute peu originale mais toujours fascinante ; Incident diplomatique, de Josée Lepire nous parle avec maestria des difficultés d'intégration des immigrés... et que ceux-ci viennent à l'origine d'une autre planète ne change rien au problème ! Que ceux - et non des moindres, vous verrez ! Il y a de "Grands anciens" parmi eux, que je lis depuis des années avec plaisir et admiration - dont je n'ai pas cité les textes me pardonnent !
Logiquement (vous n'avez jamais remarqué combien on a tendance à se retourner sur son passé, passée la quarantaine ?), et à sa façon sérieuse, intéressante et pleine d'humour habituelle, Mario Tessier dans ses Carnets du Futurible revient sur les Classiques de la Science-Fiction, et montre combien la perception desdits classiques a finalement peu changé depuis 50 ans. Enfin, les critiques, de littérature (très peu, dans ce numéro-ci, hélas !... mais sans doute n'y avait-il plus de place, vu l'épaisseur du volet Fictions) ou cinématographiques, avec Sci-néma la rubrique de Christian Sauvé concluent de belle et intéressante manière la revue.
A propos d'images, je dirai que j'ai découvert ou retrouvé avec beaucoup de plaisir d'anciennes couvertures de Solaris en médaillon au-dessus de chaque nouvelle. Quelle excellente idée !
En somme, comme ce numéro, à peine paru, est déjà "collector", par nature, il vous FAUT absolument vous le procurer, par tous les moyens. Légaux, ça va sans dire. L'abonnement est une bonne idée...
* Comprendre par là Dans la fosse, de Vonarburg, nouvelle parue en dernier dans La maison au bord de la mer.