Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Royaume - Carrère, Emmanuel

J’avais beaucoup entendu parler de ce livre et j’étais très curieuse de le découvrir. L’auteur revient sur une crise mystique qu’il a traversée il y a vingt-cinq ans. Il nous explique comment il est devenu chrétien, comment il s’est lancé à fond dans les pratiques rituelles catholiques durant trois ans pour enfin perdre la foi – du moins y renoncer un Vendredi saint. Il rejette sa croyance pour devenir non pas athée – il dit ne plus croire assez pour cela – mais un agnostique amical envers le christianisme et les chrétiens. Je ne partage pas le moins du monde sa vision de la foi finalement très rituelle et peu vivante. Il a lu l’Écriture, surtout l’évangile de Jean, mais ne semble pas avoir reçu le baptême du Saint Esprit qui rend la Bible actuelle et vivante, mais surtout qui permet une communion vivante avec le Christ. Il dit être plus honteux de cet épisode de sa vie que de son goût pour les vidéos pornographiques et c’est bien triste, mais cette affirmation est sans doute aussi une provocation destinée à faire bondir ses amis chrétiens.

Emmanuel Carrère pose de bonnes questions aux chrétiens, il se demande comment parler de la foi sans être croyant, il se dit fasciné par la foi. Il se demande comment de nos jours des gens peuvent accepter une histoire aussi extravagante, avoir une conduite aussi peu conforme aux aspirations naturelles de l’homme et par ailleurs se comporter de manière parfaitement sensée et rationnelle dans les autres domaines de leur vie.

Le livre est surtout centré sur l’auteur, son ressenti, ses souvenirs, etc. Mais c’est aussi une formidable enquête sur les débuts du christianisme, en particulier sur l’œuvre de Paul et de Luc. Carrère nous emmène sur leurs traces dans l’empire romain du premier siècle et c’est tout à fait passionnant, on apprend beaucoup de choses sur cette époque et ses acteurs. Il tire aussi de nombreux parallèles entre notre époque et celle des débuts de l’Église. Pour lui, la religion actuelle est la religion du moi et de l’individualisme forcené, et elle entraînera la fin de notre civilisation comme le christianisme a rongé de l’intérieur et fait s’écrouler la civilisation romane. Sur ce point on peut craindre qu’il ait entièrement raison.

Ce livre n’est ni tout à fait un document, ni tout à fait une autobiographie, ni tout à fait un roman. Il est très très intéressant à lire, mais je reconnais l’avoir fait avec un œil plutôt critique quant à son contenu. Carrère se réfère très souvent à Ernest Renan, qui est un des précurseurs, mais pas le premier d’entre eux, de la lecture critique de la Bible. Je m’interroge : si un médecin ou un physicien écrivait un livre en se référant principalement à une sommité du dix-neuvième siècle, est-ce qu’on le prendrait au sérieux ? Certainement pas, toutefois avec les textes bibliques, ce style de livres racoleurs parait régulièrement. Des livres qui reprennent des théories plutôt datées et en font des best-sellers. On ne peut pas s’en prendre aux auteurs mais bien aux lecteurs trop naïfs et mal informés, ou peu désireux de s’informer. Le livre d’Emmanuel Carrère est un bon roman historique et un agréable moment de lecture. Toutefois si on veut avoir une vision actuelle et scientifique des débuts de l’Église, mieux vaut s’adresser à Daniel Marguerat. Et ceux qui cherchent des révélations iconoclastes sur le Jésus historique peuvent aller voir chez Rudolf Bultmann ou Pierre Parroz. Ils pourront ainsi voir que la théologie protestante va beaucoup plus loin que les best-sellers grand public.