L'Europe... En tendant la main, on pourrait presque ramasser une poignée de sable d'or... Voilà le pitch initial de la quatrième de couverture de Les mains invisibles. C'est également ce que pense une grande partie de la population africaine, plus particulièrement au Maroc, où on retrouve Rachid et Nadim, deux copains de toujours, qui arrivent à peine à vivre de leur travail. En plus de ce dernier, ils n'ont pas vraiment le choix, et doivent aller jusqu'à fouiller les détritus afin d'y trouver des choses encore valables.
Et puis, la pression familiale est forte, notamment pour Rachid, qui est marié et qui a une petite fille. Celle-ci a une santé fragile, due à une mauvaise nutrition. Et puis, Rachid a ses principes, et refuse que sa femme aille travailler dans la petite boîte locale, car il pense que ce patron là a des yeux sur toutes ses employées. Mais de jour en jour, de semaine en semaine, Rachid est confronté à une terrible réalité : dans son sordide bidonville, il n'offre pas la vie rêvée à sa famille...
Alors, devant les spots publicitaires qui montrent ceux qui ont réussi en Europe, Rachid se laisse entraîner, avec son pote de toujours : il reste une place chez un passeur, alors Rachid va tenter sa chance. Lui survivra à la traversée, mais pas Nadim qui sera noyé à quelques centaines de mètres des côtés espagnoles. Commence alors la réalité de ce qui se passe en Europe. Bien loin de ce que les passeurs racontaient, au pays...
Rachid retrouvera non pas une vie, mais une survie. Faite de petits boulots, crasseux, dangereux, mal payés par des gens malhonnêtes. Une nouvelle vie où il sombrera peu à peu, jusqu'à oublier ses propres principes et sa propre dignité, bien trop loin des préceptes de l'islam modéré, bien trop loin de ce qu'un être humain peut être en droit d'attendre des siens...
Les mains invisibles, qui paraît chez Casterman, est un ouvrage qui est bien loin de laisser indifférent. Il met l'accent sur Rachid, un homme fondamentalement bon et sympathique, qui n'a qu'une préoccupation en tête, qui est de fournir à sa famille tout ce dont elle peut avoir besoin. Comme pour n'importe quel homme censé, finalement...
Le livre est découpé en différentes phases, à commencer par la façon dont les Marocains sentent la façon dont cela se passe en Europe, forcément à mille lieux de la réalité. Une divergence qui fait la base de ce livre, et que l'auteur, Ville Tietäväinen, utilise comme leitmotiv dans ce récit. Les plus de 200 planches de ce livre constituent un trésor de réalisme qui est à mettre entre toutes les mains, ne serait-ce que pour avoir une meilleure compréhension d'un phénomène de société.
En cela, les dessins très épurés, qui donnent des visages taillés à la serpe, conviennent parfaitement au récit. Mention spéciale pour la discussion, bourrée d'intelligence, entre Rachid et des islamistes radicaux qui cherchent à lui faire adopter de mauvaises idées...
Le livre a déjà gagné le prix Finlandia en 2012, dans le pays d'origine de cet auteur. En Allemagne également, il a fait l'objet d'une nomination au prix Max und Moritz en 2014. Un livre qui gagnera vraiment à être connu dans notre pays, au vu de la morosité ambiante notamment, et qui devrait permettre de mieux comprendre des gens qui ne sont pas que de parfaits étrangers, mais bien des êtres humains désireux avant tout d'améliorer leur condition familiale...