Une grande ville, comme il y en a beaucoup. La matinée commence, et on retrouve un homme, prenant le petit déjeuner, entouré de sa famille. Personne ne se parle, tout le monde est plongé dans son smartphone. L'homme a le regard interrogatif, et comme tous les jours, le marathon commence : conduire les enfants à l'école, affronter la foule bondée, les embouteillages, pour aller passer une nouvelle journée épuisante au bureau... Une existence vide de sens, accompagnée par des tonnes d'images publicitaires, où qu'on tourne la tête.
Et soudain, la délivrance... L'homme aperçoit la mer, au loin, et se demande depuis combien de temps il ne s'en est pas approché. A contre-courant, l'homme s'en approche. Bientôt, il embarque sur un immense paquebot, comme ça, sur un coup de tête qui va le faire vivre d'autres choses. Et comment... Le paquebot en question fait naufrage, et l'homme est l'unique survivant, se réveillant bientôt sur une plage déserte.
Au prix d'une belle escalade, l'homme se retrouve sur les hauteurs de l'île, pour une nouvelle stupeur : l'île est habitée, et une société très organisée occupe les lieux. Une société où, là encore, chacun tient sa place, et où chacun semble être heureux. Et ce, grâce à un étrange petit fruit qui semble annihiler toute réflexion sur l'avenir, au sein de cette île. D'abord, l'homme est heureux lui aussi, d'autant qu'il s'attache à sa nouvelle compagne.
Mais rapidement, la réflexion prend le dessus, et l'homme essaie de faire ouvrir les yeux à ses nouveaux contemporains. Il n'y parviendra pas, et devra encore aller voir ailleurs, histoire de voir si l'herbe y est plus verte...
Et c'est là tout le filigrane de ce nouveau livre de Grégory Mardon : l'Homme, au sens large, peut-il se contenter de ce qu'il a, ou est-il nécessairement attiré par ce qui se passe à côté, ailleurs, un inconnu qui finit par l'attirer inexorablement ? Une question vaste, à laquelle il est bien difficile d'avoir une réponse, mais à laquelle l'auteur donne des pistes de réflexion bien intéressantes, au fil des plus de deux cent planches sans la moindre bulle qui nous sont proposés par les éditions Futuropolis.
Le challenge n'est pas nouveau, avec notamment les livres de Grégory Panaccione (Âme perdue, Match, Un océan d'amour...). C'est cette fois donc Grégory Mardon (Sarah Cole, Le Fils de l'Ogre, disponibles également chez Futuropolis) qui se colle à cet exercice difficile, et autant être clair : c'est très réussi ! Suivre ce citadin très expressif à travers son voyage est ici un vrai plaisir : le personnage principal est parfaitement attachant, et le lecteur n'aura aucun mal à s'identifier à lui, ce qui constitue le premier challenge remporté haut la main.
Ensuite, les dessins sont de toute beauté : les découpages donnent parfaitement le rythme, les plans, larges ou serrés, sont eux aussi très convaincants, et sont la preuve que finalement, des dessins réfléchis et travaillés sont tout aussi efficaces que toutes les bulles du monde. Grégory Mardon est totalement convaincant dans cet exercice d'une haute difficulté !