Un jeune garçon est réveillé par sa mère, précipitamment. Le temps de la douche de celle-ci, le garçon, appelé Bené, doit prendre son petit déjeuner, vite fait, et s'habiller, encore plus vite fait, sans franchement avoir le temps de se laver. La mère, encore très jeune, est maquillée, impeccable pour le rendez-vous qui l'attend avec son fils, dans sa nouvelle école.
Car on le comprend vite, Bené est un habitué des renvois d'écoles. Cela ne semble pas franchement inquiéter sa mère plus que cela, mais Bené est un enfant très difficile. Il ne sait pas lire, reste enfermé dans son monde sans beaucoup de communication avec les autres (y compris sa propre mère), et c'est avec une grande méfiance que Madame Valentine, sa nouvelle institutrice, l'accueille dans sa classe...
Immédiatement, la tension est vive avec l'arrivée de Bené. Celui-ci refuse de prendre la place que Valentine lui a indiquée, et rapidement Bené se retrouve dans l'impasse lorsqu'on lui demande de se présenter via une histoire écrite. Non content de ne pas savoir lire, Bené ne sait absolument pas non plus écrire, et ne peut que raconter des histoires en dessinant.
Mais peu à peu, les choses changent, avec Valentine qui entre dans ce jeu, et qui parvient peu à peu à rendre ce gamin bien plus sociable. Il faut dire qu'en coulisses, cela n'est pas évident, notamment lorsque Valentine doit convaincre la directrice de l'établissement de passer vraiment du temps avec cet enfant qu'elle ne veut pas lâcher, comme elle le dit elle-même. Valentine sait que le surplus de temps passé avec Bené est autant de temps en moins avec la vingtaine d'autres élèves de la classe. Un choix cornélien, qui n'est que le reflet des problèmes récurrents de l'Education Nationale...
C'est pas toi le monde est la première bande dessinée de Raphaël Geffray, un jeune auteur de vingt-cinq ans dont le travail de fin d'études a fait l'objet d'un repérage et d'une publication par les éditions Futuropolis, qui n'en sont pas à leur premier essai dans ce genre d'exercice. Autant être clair : ce premier livre est déjà très abouti, et d'une immense maturité, rarement atteinte même dans une cinquième bande dessinée chez la plupart des auteurs...
Ici, on se régale avec l'histoire, le récit : une narration lente, volontairement, avec des plongées étranges et magnifiques dans les pensées de ce petit garçon de huit ans et demi. Bené est un personnage travaillé, et surtout rendu parfaitement attachant pour n'importe quel lecteur qui ne pourra que s'identifier, au travers des années passées sur les bancs scolaires. Le livre est aussi l'occasion d'une plongée dans les problèmes du système scolaire, ce qui est au passage parfaitement intéressant !
Graphiquement, Raphaël Geffray fait également montre d'un travail très abouti. Le dessin semi-réaliste est plein de force, avec juste des gris et des aplats de noir, qui mettent justement cette force en valeur. Pas de fioritures avec des couleurs criardes ici, ce qui est bien agréable. L'auteur parvient à magnifier des scènes du quotidien, en utilisant des cadrages recherchés et aboutis, et en faisant l'apanage de détails, même lorsque les personnages ne sont pas en gros plan. Chaque personnage est intéressant et a un vrai rôle dans cette histoire, et rien n'est laissé au hasard dans cette BD.
Une première production de très haut niveau, pour un jeune auteur que l'on suivra désormais, et déjà, de très très près !