Les Chroniques de l'Imaginaire

La maison des derviches - McDonald, Ian

Il y a longtemps qu'il n'y a plus un seul derviche dans la maison, même si le nom lui est resté. Elle-même a d'ailleurs été lourdement modifiée au fil du temps, divisée en appartements ou boutiques, et un bon nombre de cul-de-sac et escaliers dérobés ont ainsi été créés, faisant le bonheur des chats et des enfants fureteurs. Celui de Can Durukan, notamment, qui la connaît sans doute mieux que personne, par l'intermédiaire de ses robots-jouets. Quand on a neuf ans et une maladie de cœur si grave que le moindre bruit peut vous tuer, si bien que vos parents vous ont condamné à porter en permanence des bouchons auditifs, on se distrait comme on peut.
Alors, l'Enfant-Détective espionne. Ses voisins notamment. Quand Necdet est frôlé par un attentat-suicide dans le tram, l'un des bots de Can était là, et il est sans doute le seul à repérer qu'un robot inconnu, n'appartenant pas à la police, le file lors de son départ discret : il a bien assez de mal à s'en défaire ! Il est d'ailleurs plutôt déçu que son autre voisin et confident, le vieux Georgios Ferentinou, lui donne des conseils de prudence plutôt que des félicitations. Pour ce qui concerne Ayse Erkoç, qui tient une galerie de revente d'objets anciens, surtout religieux, et Leyla Gultasli, qui désespère de pouvoir utiliser son diplôme de marketing, jusqu'à sa rencontre avec ces deux geeks convaincus que leur découverte va changer le monde, l'attentat ne changera leur vie que plus tard, et par raccroc.

Tout lecteur de Ian McDonald est habitué à ses intrigues tentaculaires, enchevêtrées comme un mille-feuilles en hélice. Celle-ci est plutôt linéaire en comparaison : toute l'action se déroule à Istanbul, "la reine des cités", d'un lundi à un vendredi, et avec un nombre plutôt restreint de personnages. Mais tout le talent de l'auteur est là, avec son don pour ciseler des personnages plus vrais que nature, crédibles, humains, d'autant plus attachants qu'ils sont miroitants de facettes et de faiblesses, avec aussi sa façon de décrire une société aussi nuancée que ceux qui la composent, comme une mosaïque byzantine.

Par ailleurs, l'aspect science-fictif est présent non seulement par la découverte d'Aso et Yasar, mais aussi par l'origine du gaz objet de l'opération Turquoise, notamment, ou bien sûr les "jouets" de Can. La façon dont l'auteur imagine l'usage qui peut être fait de la nanotechnologie est remarquable, à la fois par sa crédibilité et la mise en scène qu'il en fait.
Ce roman est ce que toute bonne œuvre d'anticipation devrait être, source à la fois de distraction et de réflexion sur le monde et l'avenir que construit notre façon de vivre. En somme, un autre excellent moment de lecture.