Les Chroniques de l'Imaginaire

La route sombre - Jian, Ma

Meili tremble en entendant les coups frappés au portail de l’enclos de sa maison. Elle revoit immédiatement l’arrestation de sa voisine ce même après-midi. Mme Fang, brutalement interpellée par les responsables du planning familial et emmenée de force pour être stérilisée. Son crime : avoir eu un enfant sans autorisation. Et Meili pense à présent qu’ils sont venus l’arrêter à son tour, elle et son ventre rond, la preuve de son crime, une seconde grossesse au pays de la politique de l’enfant unique.

Mais heureusement, ce n’est que son mari, Kongsi. Il lui apprend que la campagne de répression du planning familial est sans merci et que les représentants présents au village ont pour projet, dès le lendemain, de poser un stérilet à toutes les femmes qui ont déjà eu un enfant. Et le pire est à craindre lorsqu’ils découvriront que Meili est enceinte.

Alors Meili et Kongsi décident de fuir : commence pour eux une longue errance dont l’issue est bien incertaine…

Ma Jian est un écrivain chinois, exilé à Londres. Sans surprise, ses romans sont interdits dans son pays natal. Avec La route sombre, il dresse le portrait sans concession d’une Chine archaïque et cruelle, où la femme n’est qu’un ventre, un ventre à engrosser dans l’espoir d’un fils pour le mari et d’un ventre à contrôler pour l’État. On pourrait se croire revenu des dizaines d’années en arrière et pourtant, cette situation est toujours d’actualité.

On suit le périple de Meiji, une jeune paysanne forcée de fuir avec son mari et sa jeune fille afin de protéger le second enfant qu’elle porte. Cette femme est deux fois coupable : une première fois aux yeux de son mari pour ne pas lui avoir donné de fils et une seconde fois par l’Etat pour être de nouveau enceinte. Double peine et double condamnation, auxquelles il semble impossible d’échapper. Car l’époux entend bien avoir son héritier mâle, peu importe le nombre de grossesses, et l’État entend faire respecter la loi, par tous les moyens, même les pires. Mais finalement, la femme qu’on pourrait croire soumise va petit à petit, au gré de ses mésaventures, grandir et acquérir une certaine force. Mais à quel prix...

Les violences subies par les femmes sont décrites sans concession et à la limite du supportable : le récit est dur mais révélateur d’une situation dramatique. On peine à croire que de tels événements se soient produits et se produisent encore et pourtant... A plusieurs reprises, j’ai cru avoir plongé dans un passé heureusement révolu mais certains détails nous rappellent immédiatement que nous sommes bien de nos jours. On découvre des femmes soumises à l’autorité de leur mari, un État tout puissant, hautement corrompu et sans pitié. C’est toute l’absurdité de la politique de l’enfant unique qui est pointée du doigt, tout comme les violences faites aux femmes qui en découlent.
L’auteur n’oublie pas non plus la corruption qui ronge l’État chinois, la fracture grandissante entre ville et campagne, la pollution qui détruit ce si beau pays... Ma Jian n’épargne ni son pays ni son lecteur.

Un voyage éprouvant au sein de la société chinoise qui ne vous laissera pas indifférent.