En 1957, à l’occasion de l’année géophysique internationale, les Soviétiques installèrent une station de recherche au cœur de l’Antarctique, la base Vostok. Pendant plusieurs décennies, les scientifiques affrontèrent courageusement des conditions de vie particulièrement inhospitalières, car dans cet endroit réputé le plus froid de la Terre les températures sont de l’ordre de -30°C en été mais peuvent descendre jusqu’à -90°C en hiver. Ils forèrent inlassablement la glace, découvrant ainsi – à près de quatre kilomètres de profondeur – un gigantesque lac subglaciaire, accessible par un trou pas plus large que la main. Et puis la base fût fermée.
Des années plus tard, un groupe d’amateurs va revenir dans la base abandonnée. Juan, un ambitieux trafiquant chilien aux ordres du Cartel, a quinze jours pour rouvrir le puits d’accès au lac Vostok, coûte que coûte. Outre une poignée d’hommes de main et de scientifiques, il emmène également sa jeune sœur, Leonora, quinze ans. Coupés du monde, ils vont devoir survivre…
Ce thriller en huis-clos au pays des glaces démarre de manière un peu déroutante : on fait la connaissance d’une adolescente chilienne, Leonora, et on découvre sa vie de tous les jours. Comme son frère est un caïd du Cartel, elle est retenue pour sa protection dans une villa qu’elle ne peut quitter, et elle lui en veut beaucoup pour cet emprisonnement. C’est pour cela qu’elle saute sur l’occasion de quitter sa prison dorée et de partir au pôle Sud avec lui quand celle-ci se présente.
Le début du livre est également l’occasion de nous présenter le contexte politique, avec la guerre civile qui oppose le Cartel et les Andins, et aussi les spécificités de ce monde futuriste. Les éléments de science-fiction ne sont cependant pas ce qui est le plus important dans cette histoire et peuvent aisément être mis de côté par ceux que cela n’intéresse pas.
Le but du voyage à Vostok est un peu capillotracté, mais il fallait bien donner un motif au petit groupe pour venir forer dans ce coin perdu. Après le réveil de la base polaire endormie, on plonge irrémédiablement dans une ambiance de froid mortel et de violence, de paranoïa et de folie, de désespoir et d’égarements.
L’auteur est ingénieur, il s’est clairement bien documenté, et le réalisme des situations est saisissant, que ce soit au niveau technique ou au niveau du mental des personnages. Dans une histoire secondaire qui alterne avec la trame principale et lui fait écho, il nous relate l’Histoire – avec un grand H –, celle de l’ère soviétique et de la course à la gloire scientifique. A travers le personnage de Veronika Lipenkovna, pionnière qui a travaillé à Vostok pendant de longues années, on découvre avec admiration la détermination et le courage des scientifiques qui ont œuvré avec les modestes moyens du bord pour la gloire de leur pays et la conquête de la connaissance. Et leur déconvenue à la chute de l’Union Soviétique, quand leur pays effondré n’a plus eu les moyens de continuer à soutenir les recherches en Antarctique…
On suit toute l’histoire à travers le prisme de deux femmes fortes : La jeune Leo, encore accrochée à l’enfance mais qui va devoir se dépasser, engluée dans une relation d’amour/haine avec son frère ; et Veronika, la scientifique, qui n’a eu de cesse durant toute sa carrière de faire vivre la base antarctique et les recherches qui y étaient menées.
Mention spéciale pour Araucan, le ghost ami de Leo : un garçon qui est là sans être là, que l’on ne voit que si on le veut bien (et si lui le veut bien), qui a besoin d’attention pour survivre, au risque de disparaître si on l’oublie… On a le cœur qui vibre rien que d’y penser. Sa capacité à percevoir tant le monde qui l’entoure que son passé et son futur sont bien utiles pour expliquer les situations, et d’autres choses aussi, mais finalement je trouve quand même qu’il aurait pu avoir une place plus importante (et plus intéressante) dans l’histoire.
Ce roman est donc une excellente découverte, qui confirme tout le bien que l’on pense de l’auteur.