Le Satori : C’est le nom que l’Histoire a retenu pour l’attentat le plus destructeur qui ait jamais été commis sur Terre. Une nouvelle arme, la bombe iconique, a déclenché une réaction en chaîne qui a décimé près des trois quarts de la population mondiale. En quelques heures, les personnes qui voient les symboles visuels mortels s’écroulent, à la fois aveugles, sourdes et muettes, leur esprit brisé. Croiser le regard d’une personne touchée, c’est mourir à son tour, ou à la limite devenir un Porteur Lent qui survivra en contaminant les gens qui le rencontrent. La Terre en a été radicalement changée.
Pour éviter qu’une telle catastrophe se reproduise, il faut détruire toute connaissance liée à la bombe. Les principaux responsables ont été exécutés. L’organisation Vergiss mein night dispose des pleins pouvoirs pour traquer leurs complices volontaires ou involontaires. Plusieurs décennies après le Satori, Magda Makropoulos obtient de son chef Christian Jaeger d’enquêter sur une anomalie : dix-huit ans avant le début de la pandémie, lors d’une interview de scientifiques impliqués au plus haut niveau, le film montre une chaise vide dans le restaurant parisien qui servait de cadre à l’entretien. Qui était là ? Une personne proche du Dr Aberlour, qui a raffiné le concept de la bombe, ou du Colonel Darsonval, qui a mis en œuvre le projet Star ?
Au fil des chapitres de ce roman, nous découvrons des tranches de vie de personnages liés de près ou de loin à la bombe iconique, sur une période de temps qui couvre plusieurs dizaines d’années : un enquêteur parisien à l’affut d’un possible scandale politique, le terroriste qui a fait « exploser » la bombe lors d’un sommet hyper-médiatisé, un homme qui a exhumé des archives une importante pièce à conviction, un des militaires qui a testé la bombe dans une vallée isolée… Leur point commun ? Tous ont approché une femme mystérieuse dont les archives n’ont pourtant gardé aucune trace. Ces traces inexistantes, ces moments où il aurait pu – ou non – se passer quelque chose de crucial, c’est tout ce sur quoi Magda peut s’appuyer pour retrouver l’absente. Elle est convaincue pourtant qu’il y a quelqu’un au bout de sa quête.
Margarita (du nom de la boisson servie devant la chaise vide), Kirsten Lie (une artiste spécialiste en idéogrammes), Nomen Rosae (un profil sur un réseau social), Hypasie (un nom parmi d’autres cités durant un interrogatoire), ou encore Marguerite… Ceux qui l’ont rencontrée pensent qu’elle est une Elohim, une « enfant des étoiles » : une extra-terrestre d’apparence entièrement humaine qui se coule dans le moule de ses maîtres, existant à travers eux, se définissant à partir de ceux qui pensent à elle. Pour survivre, il lui faut rester cacher pour échapper à ceux qui la traquent, mais paradoxalement il lui faut aussi conserver leur attention pour ne pas s’effacer dans le néant… Tous en tout cas l’ont trouvée troublante, mystérieuse, évanescente. Le lecteur également !
Cette enquête pour retrouver ce fantôme omniprésent mais insaisissable nous est présentée dans le désordre, mêlant des récits de différentes époques. Chaque chapitre nous présente des personnages différents, avec des styles d’écriture différents (même si on ne sait pas toujours qui raconte, en fait), couvrant un grand nombre de registres : du flot de souvenirs ininterrompu aux rêveries suggestives, des rapports aux rencontres évasives...
De plus, tous les récits sont sujets à caution. De par le temps qui a passé et brouillé les souvenirs, mais aussi de par l’intervention possible/probable de l’Elohim, avec sa faculté à modifier la mémoire de ceux qui la rencontrent. Bref, tout est trouble, on ne sait jamais où est vraiment la réalité. La vérité d’une page est démolie à la page suivante, inlassablement. Le doute est permanent.
C’est une lecture difficile, qui nécessite que l’on s’accroche pour ne pas perdre le fil. Un puzzle qui se compose peu à peu sous nos yeux, dans le plus grand désordre. Des éléments qui sont disséminés de manière trop allusive pour qu’on les comprenne dans l’instant. Le hic, c’est que cet effort de lecture constant à fournir pour s’immerger dans l’histoire et en comprendre les enjeux m’a vraiment fatiguée : j’ai eu de la peine à vraiment apprécier ma lecture ; j’ai même quasiment décroché vers la fin, quand on a commencé à voir de ci de là apparaitre les noms d’Assur et Norn, dont on met longtemps à comprendre de quoi il s’agit réellement. C’est souvent long, c’est aride.
C’est dommage, parce que l’ouvrage a vraiment une grande richesse. En sus de la quête, les auteurs n’ont pas ménagé leur peine pour nous proposer un monde futur original et cohérent : société hyper-technologique, zones post-apocalyptiques dévastées où les soldats portent des casques brouilleurs pour ne pas être contaminés, sectes, mise en sommeil de Dormants en attente de réveil dans des sarcophages emplis de liquide orangé, colonisation de l’Espace, présence sur notre planète d’extraterrestres bien intégrés… J’en passe, cela fourmille d’idées fort bien trouvées et mises en œuvre.
Finalement, le roman est à l’image de son titre, intrigant et plus profond qu'il ne semble au premier abord : « Anamnèse », un bien joli mot que le commun des mortels devra chercher dans le dictionnaire, pour découvrir qu’il possède plusieurs significations toutes appropriées ici, que ce soit en psychologie (histoire d’un sujet), en médecine (antécédents d’un patient et historique d’une maladie avec les résultats déjà obtenus) ou en ésotérisme (connaissance totale des incarnations antérieures)… « Lady Star », un nom qui ne sera jamais employé dans le roman mais qui n’est pas plus juste/faux qu’un autre pour un personnage multiple difficile à cerner…
Une œuvre magistrale, mais exigeante et qui ne plaira pas à tous les lecteurs.