Les Chroniques de l'Imaginaire

Cher Monsieur M - Koch, Herman

M. est un écrivain célèbre d’un certain âge. Bien que son succès commence à se faner, il est encore quelqu’un qui compte dans le milieu très fermé de l’édition hollandaise. Dans la rue, les jeunes ne le reconnaissent déjà plus, mais les gens un peu plus âgés viennent encore flatter son égo en lui soutirant deux minutes de son temps et un autographe.
Le succès de M. repose avant tout sur Règlement de comptes, un de ses premiers best-sellers. Ce roman, inspiré de faits réels, retrace l’histoire d’un professeur d’histoire, amoureux fou d’une de ses élèves avec qui il avait eu une aventure. Après leur rupture, le professeur harcèle la jeune fille et ne supporte pas son nouveau compagnon. Mais peu avant Noël, le professeur d’histoire disparaît.

Dans l’appartement voisin de M. réside Herman, un homme gentil et serviable, du moins en apparence. Car pendant son temps libre, Herman écrit des lettres anonymes à M. et espionne son célèbre voisin. Herman sait, lui, que le succès de M. repose sur un mensonge…

Herman Koch nous invite dans un roman à tiroirs haletant, sombre et cynique entre satyre sociale et polar noir. La structure du récit participe à ce suspense en mettant en lumière tour à tour le point de vue de chacun des personnages. Cette construction fragmentaire alterne le présent et le récit de l’ancien fait divers, sans qu’on ne sache toujours s’il sort de Règlement de comptes ou de la vérité proposée par Herman.
C’est d’ailleurs une belle réflexion vers laquelle nous emmène l’auteur que celle de l’appropriation d’une histoire réelle par un auteur. Certes, il y a autant de réalités que d’individus, constituant chacune une facette du prisme qui compose le récit de Cher Monsieur M. Mais au final, l’auteur, bien qu’il dénature pour les besoins de sa fiction les faits qui l’inspirent, ne fixe-t-il pas sa réalité de manière définitive dans l’imaginaire collectif ?

L’ensemble est servi par une galerie de personnages charismatiques forts, quoique grinçants à plus d’un égard. Car Herman Koch fait partie de cette lignée d’écrivains héritiers de la beat génération et du polar noir, qui aiment la médiocrité, la violence, le cynisme, ce qui pue, ce qui dérange et ce qui casse les codes. Cet univers de trahison, de manipulation, de faux-semblants et de mépris dresse un portrait d’une l’humanité désenchantée, maudite, propre à la grande littérature moderne. A lire !