Nous sommes dans un trou perdu de l'Ontario, à Pimitamon exactement. Au Pit Stop, le seul bar de la ville où on retrouve les habitués, on fait notamment la connaissance de Derek Ouelette, un homme bourru et taciturne, ancien hockeyeur qui a eu son heure de gloire avec les Rangers. D'anciens fans lui cherchent justement présentement des noises, ce qui a le don de faire entrer Derek dans une colère noire, pas franchement bonne pour la santé de ses adversaires du soir. Si Derek est tombé bien bas, et dans un quasi oubli, c'est bien à cause de ce genre d'accès de colère noire...
Et c'est ce que le policier du coin, Ray, se tue à expliquer à Derek... Cette fois, il ne l'emmènera toujours pas au poste, mais tout de même : cela lui pend au nez, et finira bien par arriver... Il faut dire que Derek a tout de même vraiment salement saboté sa carrière, avec un coup de crosse donné sur la tête d'un joueur adverse qui le cherchait d'un peu trop près. Un coup de colère, encore un, qui lui a valu une expulsion définitive de la NHL...
D'un autre côté, Derek n'a jamais vraiment été aidé non plus, côté famille... Une mère battue, partie trop vite dans un sale accident de voiture, un père violent donc : les chiens ne font pas des chats, encore une fois... Mais Derek a tout de même également Betty, une petite sœur qu'il n'a pas vue depuis des années, après qu'elle ait quitté ce trou à rat de l'Ontario. Mais Betty est sur le point de revenir, après avoir passé trop de temps à se faire tabasser par Wade, son ex, et à se droguer... De quoi apporter encore des soucis à Derek, lui qui devrait faire profil bas pour quelques temps...
Jeff Lemire est un artiste canadien qui a déjà œuvré pour les éditions Futuropolis, avec le pavé Essex County, paru en 2010. C'est avec plaisir qu'on le retrouve dans ce roman graphique, qui reprend une tranche de vie pas comme les autres, avec l'occasion toute particulière de faire la connaissance avec un personnage qui a du punch, et qui est pourtant terriblement attachant.
Ce Derek a tout de l'antihéros : un homme brisé, que la vie a complètement amoché, et qui est à fleur de peau pour la moindre contrariété. Bien entendu, les flashbacks, utilisés ici à très bon escient, permettent de comprendre complètement les réactions de ce garçon brisé. C'est avec une grande délectation qu'on assiste à la surprise de Derek devant une sœur tout aussi amochée que lui. Et c'est avec délectation encore qu'on attend la confrontation finale, inévitable, entre Derek et Wade, le fiancé qui cherche absolument à retrouver sa belle...
Graphiquement, Jeff Lemire nous régale, avec notamment des expressions incroyables sur des visages taillés à la serpe. En quelques coups de crayon, l'essentiel est là, et il n'y a pas grand chose à rajouter. C'est plein de mouvement, brut de fonderie, et c'est là que réside tout l'intérêt et toute la force graphique de ce Winter Road. Un road-movie qui en dit long sur cette région reculée et inconnue, mais qui ne laissera nullement indifférent !