Les Chroniques de l'Imaginaire

Merfer - Miéville, China

Le jeune Sham embarque sur un train taupier, le Mèdes, en tant qu'apprenti-médecin. Ni la chasse à la taupe ni la médecine ne l'intéressent, mais il faut bien faire quelque chose et ce boulot en vaut un autre. Et à défaut d'être passionnant, cela lui permet au moins de voyager, d'arpenter en tous sens les rails méandreux de la Merfer et de découvrir des rivages lointains. Ce qui fait rêver Sham, c'est plutôt l'exhume, ces artefacts technologiques mystérieux qui émergent par endroit du sol de la Merfer, vestiges tous droits sortis de temps immémoriaux où des vaisseaux extraterrestres déversaient leurs poubelles sur notre monde.

Quand le chemin du Mèdes croise celui d'un train déraillé, Sham est subjugué. A bord, il trouve un cadavre dont il ne reste que les os, mais dont le propriétaire a passé ses derniers instants à cacher une précieuse carte image. Celle-ci est immédiatement confisquée par la capitaine Picbaie. Le Mèdes est en effet dirigé par une capitaine obsédée par une idée fixe, abattre Jackie la Nargue, la taupe géante albinos qui lui a pris un bras. Rien d'autre ne compte vraiment pour elle, et elle ne veut pas de diversion. Mais Sham lui est très intrigué par les photos entraperçues, et bien décidé à retrouver la famille du capitaine décédé et à découvrir son secret.

La poursuite inlassable menée par une capitaine estropiée pour rattraper un géant blanc n'est pas sans évoquer le roman culte Moby Dick écrit par Herman Melville, forcément. Mais si vous croyez avoir affaire à un remake où les trains auraient remplacé les navires, et la mer de fer remplacé l'océan, sachez qu'il n'en est rien. L'histoire bifurque dès le début, nous menant à la suite de Sham dans des aventures tumultueuses mêlées de secrets et de découvertes.

Comme toujours, China Miéville a su bâtir un univers ahurissant. Les continents sont surmontés de montagnes à l'air toxique, qui dépassent la frontière de l'outre-ciel où volent de curieux prédateurs venus d'ailleurs. Mais on ne les visitera guère, se concentrant sur la Merfer : une nuée de rails se croisant et se recroisant en tous sens, arpentés par des trains de toutes sortes (y compris à voiles ou mus par la force humaine / animale), seul moyen de se déplacer au-dessus d'une terre mortellement dangereuse où fouissent les bêtes souterraines. Non seulement l'auteur nous donne l'impression d'y être, mais en plus il bâtit autour tout un historique cohérent dont il nous dévoile les pans petit à petit, et qui bien sûr ne correspond à rien de ce qu'on pouvait attendre.

Au début, j'ai eu du mal à rentrer dedans : le quotidien d'un jeune homme vivant sa première chasse à la baleine à bord d'un navire baleinier - pardon, sa première chasse à la taupe à bord d'un train taupier - ne me passionnait pas vraiment. Mais peu à peu, les mystères s'ajoutent les uns aux autres, Sham se retrouve embarqué dans des rebondissements toujours plus explosifs, et finalement je me suis retrouvée accroc à vouloir savoir comment tout cela allait finir.

Le style est tout à fait plaisant. Les chapitres sont courts, parsemés de nombreux dialogues, donnant beaucoup de rythme au récit. Le narrateur s'amuse par moments à enjoliver l'histoire de réflexions de son cru, par exemple sur la nécessité de suivre tel ou tel protagoniste à ce moment-là de l'histoire, c'est assez sympa.

Encore une fois, China Miéville nous propose un livre plus qu'original, prenant et intéressant. Je me suis régalée à le lire et je ne doute pas qu'il saura séduire les amateurs d'univers différents.