Pour Gareth, la déconvenue est de taille. Un dragon menace le royaume, les intrigues vont bon train à la cour et les héros qu'il pensait trouver dans les terres glacées du Nord ne ressemblent en rien aux récits légendaires qui circulent sur eux. Comment convaincre Jenny, une sorcière à demi formée à son art, et John, un porcher épris de littérature, de l'aider à sauver le royaume ? Et qui va garder les enfants ? Gareth aurait bien fait quelque chose par ses propres moyens, mais il n'a aucune expérience réelle du combat et, lorsqu'il la sort, son épée a une fâcheuse tendance à s'empêtrer dans sa cape de velours. Animé des valeurs les plus chevaleresques, il peine à comprendre les considérations plus terre-à-terre de ces deux paysans.
L'auteure, Barbara Hambly, adopte une perspective rafraîchissante. Exit les jeunes garçons et jeunes filles, héros en devenir. Les deux personnages principaux sont déjà des héros : confrontés à un dragon plusieurs années auparavant, ils l'ont mis hors d'état de nuire. On découvre que ce passé est davantage un mauvais souvenir pour eux qu'un fait de gloire. On se prend peu à peu d'affection pour ce couple mal assorti et notamment pour Jenny. Véritable héroïne de ce roman, on la retrouve tiraillée entre sa carrière de sorcière, son attirance pour les dragons, son rôle de mère et son affection pour son mari. Car l'amour entre ces deux personnages ne va pas de soi et ressemble davantage au ronronnement d'une relation de longue durée qu'à la passion du premier amour, plus souvent mise en scène dans la littérature fantasy.
Gareth, s'il fait davantage figure de rappel du héros fantasy traditionnel, n'en est pas moins attachant pour son côté vulnérable et noble. Quant au noir dragon Morkeleb, impossible de trop en dire sans dévoiler l'intrigue, mais il s'agit d'un de mes personnages préférés, rusé mais poignant.
Le style de l'auteure est fluide sans être bouleversant. L'univers décrit dans la première partie du roman, le Pays d'Hiver, dégage une atmosphère tout particulière, à la fois poétique et hostile. La seconde partie – près de la cité royale de Bel – est plus conventionnelle mais non moins intéressante avec sa citadelle sous occupation dragonne.
Face à une situation de départ insolite, des personnages à la psychologie travaillée et un univers cohérent, on ne peut que se laisser conquérir par ce roman... et le lire d'une traite. La fin elle-même surprend et fait regretter de refermer l'ouvrage.