Les Chroniques de l'Imaginaire

Adieu monde cruel ! - Massard, Stéphane & Rousselot, Jean & Delestret, Nicolas

Nous sommes à Paris, de nos jours, bien avant que l'aube ne pointe le bout de son nez... Une jeune femme arrive en voiture, seule, et elle se gare. Pas grand monde en cette heure nocturne pour la déranger. Pourtant, elle est bientôt rejointe par un jeune black qui n'est guère causant, puis par un monsieur austère et acariâtre, et enfin par un jeune homme blond qui arrive en grandes pompes, déposé par une limousine rutilante... Les quatre personnes ne se connaissent pas, et si elles sont réunies dans cette voiture, c'est dans un but à la fois original et dramatique : elles vont se suicider ensemble...

Alors, pour réussir tous les quatre dans cette entreprise (ils se sont connus via un site dédié sur le web...), ils se rendent en voiture, toujours, à la forêt de Fontainebleau. De là, un tuyau rejoint le pot d'échappement à l'habitacle, et la jeune propriétaire de la voiture enclenche le contact. Il n'y a plus qu'à attendre, alors que l'homme acariâtre débite un poème japonais, censé rendre l'instant solennel... Mais voilà : il y a de la vie, en forêt de Fontainebleau ; des chasseurs, et surtout des touristes qui viennent pique-niquer juste devant la voiture !

Alors il faut se déplacer... Et puis, c'est tout de même étrange, puisque cela fait quand même franchement longtemps que ça dure... L'explication est toute bête : la propriétaire du véhicule en question vient d'en changer, et celui-ci possède un pot catalytique... Autant dire qu'il faudrait deux bonnes journées à respirer les émanations gazeuses produites par ce moteur pour commencer à en ressentir les premiers symptômes. Non, là, il faut se rendre à l'évidence, et chercher une autre voiture, ou un de ces réchauds qui peuvent rapidement pomper tout l'oxygène de l'habitacle...

Et ces nouvelles courses sont bien évidemment l'occasion pour ces quatre personnages de se connaître un peu mieux, et de se poser de plus en plus de questions... C'est Stéphane Massard et Jean Rousselot qui sont à l'origine de cette histoire, d'ailleurs inspirée de faits réels, survenus au Japon, puis en France (où la tentative a raté...). Il n'en fallait pas plus pour des scénaristes, qui peuvent trouver là matière à y inclure de l'humour, des interrogations, et surtout des personnages crédibles et très complémentaires les uns des autres...

Et c'est Nicolas Delestret, dessinateur nordiste, qui a eu la responsabilité des dessins et des couleurs pour ce one-shot qui est un véritable ovni dans les sorties récentes : les dessins sont épurés, clairs, et la lisibilité et parfaitement mise en avant. Les dialogues, forcément ciselés, sont au rendez-vous, et c'est avec bonheur qu'on se retrouve avec des personnages toujours préoccupés par des questions bassement matérielles alors qu'ils ont décidé d'en finir.

Bien entendu, l'humour est franchement au rendez-vous dans ce one-shot qui paraît chez Bamboo dans la collection Grand Angle, mais l'erreur serait de penser qu'il n'est constitué que de cet humour noir. Que nenni... Les relations entre les personnages se construisent peu à peu, de façon naturelle, et c'est cet aspect qui est vraiment intéressant : finalement, on en saura un peu plus sur chacun des quatre protagonistes, et sur ce que la vie leur a fait subir pour en arriver à de telles extrémités.

Une bande dessinée au thème très fort, traité avec beaucoup d'humour et d'intelligence : à découvrir absolument, bien entendu !