Les Chroniques de l'Imaginaire

La Panse - Henry, Léo

Bastien est dans une impasse personnelle et professionnelle. Il est divorcé et ne s'entend pas avec son ex-femme. Ancien intermittent du spectacle, les aléas de ce travail lui ont peu à peu fait perdre sa passion pour l'accordéon, et même son conseiller Pôle Emploi juge sa situation très préoccupante. Quand sa sœur jumelle, Diane, avec qui il n'entretient que des relations distantes, coupe définitivement les ponts avec sa famille et disparaît, il décide de partir à sa recherche. Son enquête l'entraîne vers la Défense où une mystérieuse organisation secrète aux allures de secte a pris ses quartiers.

Le roman est structuré en quatre parties qui correspondent à des cercles de progression au sein de la société secrète et font peu à peu avancer l'intrigue. Celle-ci se situe dans la lignée des légendes urbaines, avec un solide ancrage dans la vie quotidienne d'un Français du début du vingt-et-unième siècle : Bastien a recours à la technologie pour démarrer son enquête, cherche des informations sur Wikipédia, consulte Google. Il fait également référence à des événements récents, comme aux attentats parisiens. Des extraits de « fonds d'archives » sur l'histoire de la construction du quartier de la Défense ajoutent encore au caractère réaliste du récit. Il est parfois délicat, pour le néophyte, de distinguer le fictif du réel dans ces allusions historiques. On est sans problème happé par l'enquête.

Léo Henry adopte une narration alternée qui mobilise deux styles d'écriture différents : une narration à la troisième personne très sèche qui correspond à l'univers minéral, métallique et artificiel du quartier de la Défense, et une narration à la première personne, du point de vue de Bastien, plus humaine et introspective. Cette dualité narrative est au service du récit qui semble opposer la mécanique infernale de l'embrigadement à une quête de sens plus organique. Le style d'écriture à la troisième personne, emplie de juxtapositions et sans subordination, renforce l'impression d'urgence.

Le personnage principal, Bastien, peut être tour à tour exaspérant et attachant. Il est tellement à la dérive qu'il se retrouve dans des situations invraisemblables. Au fil de son enquête, il croise d'autres personnes à la recherche d'un sens à leur vie et des cadres de la secte mais, à l'exception d'un ou deux personnages plus marquants, elles n'ont qu'un rôle de figuration. Ce livre, bien qu'ayant pour cadre la Défense, est presque un huis clos avec Bastien. Il en ressort un certain sentiment d'oppression qui renforce le climat de tension.

La secte et son mode de fonctionnement sont bien pensés. On comprend sans peine comment ils arrivent à recruter dans leurs rangs et on devine peu à peu leurs motivations. Pour autant, rien n'est dévoilé clairement. L'auteur laisse une grande part à l'imagination : Bastien imagine-t'il certaines choses ? Quelle est la vraie nature de l'indicible secret de la secte ? Certaines réponses sont présentes en fin de récit, mais pas toutes. Cette volonté de laisser dans l'ombre ou de peu décrire certains ressorts de l'intrigue est un point positif du récit : le pouvoir de l'évocation est souvent plus efficace, pour moi, qu'une description précise de ce qu'on doit craindre dans un livre de suspense ou d'horreur. Bien qu'un peu frustrante, cette manière de procéder pousse à dévorer le livre.

En lisant ce livre, j'ai tout d'abord été décontenancée par l'alternance entre les narrations mais, une fois l'ouvrage fini, ce choix m'a paru très habile de la part de l'auteur. J'ai personnellement préféré les passages écrits à la première personne qui m'ont aidée à mieux cerner le personnage de Bastien. De même, j'ai véritablement apprécié le déroulement de l'intrigue avec un récit focalisé sur ce personnage de Bastien et une Défense décrite viscéralement, presque comme un monstre. En définitive, la structure même du récit conduit à le rendre plus riche, ce qui n'est pas le cas de toutes mes lectures. Pour autant, tout ceci est fait très simplement : on ne sent aucune prétention de la part de l'auteur, encore un bon point pour lui ! C'est avec appréhension que j'ai suivi la progression du mystère, qui évite les clichés, et s'avère au final très dérangeant. Je ne regarderai plus le quartier de la Défense de la même manière.