Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Cercle de Farthing (Subtil Changement - 1) - Walton, Jo

Dans des années 1940 alternatives, le Royaume-Uni a négocié la paix avec Hitler sous l'égide d'un gouvernement particulièrement conservateur, le Cercle de Farthing. Ces nobles et riches industriels, organisés depuis en un réseau informel, se sont depuis vus écarter du pouvoir mais n'en demeurent pas moins influents.

Lucy est la fille de Lord et de Lady Eversley, figures éminentes du Cercle de Farthing. Pour s'être marié à un juif, David Kahn, elle doit subir les remontrances de la bonne société jusque dans sa famille. Lorsque sa mère l'invite à assister à un week-end à la campagne, en compagnie d'autres membres du Cercle, elle accepte de venir avec son mari dans un effort de réconciliation. Durant les festivités, Lord Thirkie, pressenti pour devenir le prochain Premier ministre, est assassiné. Une étoile jaune, retrouvée sur les lieux du crime, semble incriminer David. L'inspecteur Carmichael, assisté du sergent Royston, va s'efforcer de démêler le vrai du faux.

Ce roman nous plonge dans une enquête à l'atmosphère feutrée, emplie de non-dits. Derrière le vernis d'aristocratie à l'anglaise, de déjeuners champêtres, et de respect des convenances, se cache un sombre univers : travail des enfants dès l'âge de onze ans, refus de la mixité sociale et pire encore, l'Europe abandonnée aux mains d'Hitler – avec tout ce que cela suppose d'indicible. C'est cette toile de fond qui va rattraper les protagonistes peu à peu.

Le roman adopte une construction originale en en alternant les chapitres rédigés à la troisième personne et ceux à la première personne. Les premiers sont consacrés à l'enquête de l'inspecteur de Scotland Yard et font état de sa progression. Ils offrent un point de vue plus dépassionné sur les événements, tout en mettant en lumière les difficultés qu'a Carmichael à faire éclater la vérité au grand jour. Les seconds sont rédigés du point de vue de Lucy et suivent sa propre réalisation du danger qui la menace. Si cette construction peut d'abord déconcerter, elle permet d'entretenir le suspense et de varier les plaisirs.

Les relations entre les personnages et les descriptions de scènes domestiques renvoient aux romans policiers britanniques du milieu du vingtième siècle. C'est un régal de retrouver tous ces éléments, servis par une écriture fluide et émaillée de petits détails. Jo Walton, en Agatha Christie alternative, s'avère toutefois bien moins clémente avec l'aristocratie que son modèle, notamment en raison de l'univers bien plus sombre qu'elle dépeint. Chaque membre du Cercle de Farthing semble poursuivre des objectifs financiers, politiques ou romantiques susceptibles d'interroger sa moralité. Lucy même s'interroge au début du roman sur les raisons l'ayant poussée à épouser David. Elle s'avère cependant être un personnage très plaisant par son caractère moderne et altruiste. L'inspecteur Carmichael et le sergent Royston inspirent le même type de sympathie par leur réel désir de débusquer le coupable. Les personnes des domestiques ou des témoins, s'ils ne figurent qu'en arrière-fond, sont bien campés. On est capable de se faire une idée de leur personnalité et de les visualiser en quelques lignes.

Jo Walton se démarque à nouveau de son modèle à la fin du livre qui glisse vers un dénouement plus inattendu que l'on ne trouverait pas dans un roman policier classique. Je n'apprécie en général pas les uchronies se déroulant au vingtième siècle. Ces scénarios alternatifs de la Seconde Guerre Mondiale me font toujours trembler – car ils vont souvent en direction d'une version encore pire que la réalité. Le côté policier a été déterminant dans mon choix de lire cet ouvrage. Jo Walton parvient à être efficace sur ces deux tableaux. L'uchronie est bien utilisée car elle n'est d'abord décrite que par petites touches. Si certains passages ont fait bouillir intérieurement l'humaniste en moi, j'ai véritablement été happée par l'histoire, que ce soit l'enquête à proprement parler, ou le récit plus introspectif de Lucy. Ce roman est donc une surprise complète pour moi – je peux donc aimer les uchronies modernes ! - et un coup de cœur. Je ne peux que recommander sa lecture.