Dans la Russie pré-révolutionnaire, l’aristocratie encore toute puissante aime à avoir un loup domestiqué en guise de compagnon insolite. Le noble animal est grimé à loisir, contraint de faire le beau ou tout autre petit tour que ses maîtres trouvent de bons goût de présenter dans leurs salons Mais un jour ou l’autre, l’homme se lasse de son jouet ou la nature reprend son dû, et l’animal se rebiffe. Mais pas question de tuer un loup. Cela porte malheur, tout le monde sait ça. On confie alors les loups à Marina et sa fille Féodora, qui se chargent de réapprendre aux loups leurs instincts naturels avant de les laisser retrouver une meute.
Mais le général Rakov ne s’embarrasse pas de superstitions. Pour lui, les deux femmes sont des rebelles qu’il convient de mater et les loups, des nuisibles qui causent trop de dégâts pour qu’on les laisse vivre en liberté. Bientôt, il fait emprisonner Marina. Féodora se retrouve alors seule avec ses loups, bien décidée à faire libérer sa mère.
Ce roman jeunesse se trouve à la limite entre le roman initiatique et le conte russe. Comme dans tout bon roman adolescent qui se respecte, l’héroïne est une adolescente au caractère bien trempé, assez vite débarrassée de la seule figure parentale qui lui reste, lancée seule dans le vaste monde dans une quête insensée bien trop grande pour elle, et affublée de compagnons disparates qui vont tous jouer le rôle qui leur est attribué les uns derrières les autres, le tout saupoudré de divers obstacles et d’un grand méchant qui nous révulse dès les premières secondes. Rien que de très classique en somme, mais néanmoins efficace.
Le côté conte russe est également assez classique. De la neige à perte de vue, le pittoresque d’une chaumière en lisière de forêt où deux femmes ensauvagent des loups contre l’autorité, un village tyrannisé par des soldats plus proche du bandit que du protecteur. Il y a toujours dans la littérature russe une sorte de pathos engoncé dans un fatalisme mélancolique. Comme souvent, la violence d’une terre difficile se retrouve dans le tempérament des hommes qui la foulent. Point d’exception ici aussi. Le début du roman est assez cru et on sent un certain malaise dans le récit, qui ne s’échappe qu’à la toute fin.
Et c’est bien au conte que l’on doit cette libération. Car si on commence par un classique « il était une fois », le réalisme du récit l’éloigne au second plan et il ne revient que par petites touches assez subtiles. Il y a par exemple une sorte d’intemporalité qui donne à la Russie dépeinte une touche de papier glacé. De même, toute enfant qu’elle soit, Féodora vainc toutes les épreuves sans trop de difficultés et il y a comme un faste de conte dans la scène de la danse des villageois, dans le manoir abandonné qui va lui servir de refuge ou dans le traîneau à loup de princesse qu’elle se fabrique.
Et c’est bien là toute l’ambivalence du roman. Ce mélange entre réalité sordide, violente, crue et conte un peu niais ou tout ce que vous voulez deviendra réalité. C’est à double tranchant : vous pouvez adhérer sans réserve à une roman bien ficelé quoi qu’un peu classique ou vous pouvez vous perdre entre les deux genres antagonistes qui ont parfois du mal à cohabiter.