Les Chroniques de l'Imaginaire

L'ombre du pouvoir (Le bâtard de Kosigan - 1) - Cerutti, Fabien

Au XIVe siècle, la Champagne est une région stratégique pour l'Occident. Elle fait tampon entre le royaume de France et le comté de Bourgogne, qui guignent tous deux ses richesses. Hélas, la quasi indépendance du comté, obtenue depuis des générations par un subtil jeu d'alliances, est sur le point de s'achever. Depuis la mort du dernier comte, la Champagne est fragile, c'est pourquoi la comtesse a dû se résigner à promettre sa fille en mariage en échange d'un appui puisant. Dans quelques jours, ce sera le tournoi de la Saint-Rémi, à l'issue duquel la comtesse annoncera qui, des deux prétendants envoyés par la France et la Bourgogne, épousera la jeune héritière.
Évidemment, avec de tels enjeux, le tournoi de trois jours qui va se dérouler à Troyes attire les plus puissants. Parmi eux, Pierre Cordwain de Kosigan. Issu d'une des grandes familles de Bourgogne, il en a été exclu avec perte et fracas en raison de sa bâtardise. Qu'à cela ne tienne : de son état, le capitaine de mercenaires a fait son nom de guerre, et il est désormais connu comme le Bâtard de Kosigan. Mais que vient-il chercher à Troyes ? Bien malin qui dira quels sont les plans du tortueux mercenaire...

Au XIXe siècle, Kergaël de Kosigan entre en possession d'un curieux héritage ayant traversé les siècles. Par le biais de lettres qu'il adresse à ses employeurs et à son meilleur ami, on le voit partir dans une quête pleine de mystère et de danger pour démêler l'origine de tout cela.

En lisant les premières pages de ce roman, j'ai immédiatement pensé au Livre de Cendres de Mary Gentle : la situation du personnage principal (capitaine de mercenaires), le lieu et l'époque (à un siècle près), l'aspect uchronique et même l'histoire secondaire quasi contemporaine alternant avec la trame principale. Mais finalement, le rapport s'arrête là : alors que l'uchronie de Mary Gentle avait des relents certains de science-fiction, celle de Fabien Cerutti est résolument orientée vers la fantasy.

En effet, dans sa version du Moyen Âge, les peuples anciens et leur magie sont très présents. Les Elfes et autres créatures légendaires côtoient les humains, les sorts sont monnaie courante. Cependant, sous l'influence de la puissante Église Chrétienne, ces races fabuleuses déclinent peu à peu, vouées à disparaître. La comtesse de Champagne, qui est également une des dernières princesses elfiques, lutte âprement pour la survie des peuples anciens, sans grand succès.
Le mystère réside dans le fait que pour Kergaël, au début du XIXe siècle, tout ceci n'existe absolument pas. Que s'est-il passé ? C'est une énigme pour laquelle nous n'avons pas encore de réponse. Peut-être le suite de la série répondra-t-elle à cette question.

En poursuivant la lecture, c'est finalement plus à un autre capitaine de mercenaires que me fait penser Pierre de Kosigan. Un mercenaire au nom quasi identique (au préfixe nobiliaire près) : Miles Vorkosigan, le héros de la série de science-fiction de Lois McMaster Bujold. Le personnage de Fabien Cerutti est plus sombre, n'hésitant pas à se salir les mains, mais ils partagent une vive intelligence, un charisme certain, l'art de charmer et embobiner les gens, le goût pour les plans tortueux... Sans compter le fait de réussir à se faire payer plusieurs fois pour la même mission par les différents acteurs en présence, typiquement milesien !

Le côté politique de l'intrigue est bien campé, sans être pesant. L'aspect historique est également riche et travaillé, ce qui est tout à fait agréable. Le récit est prenant, enchaînant les surprises alors qu'il est concentré sur les quelques jours du tournoi. Seules certaines scènes de combat sont un peu longues à mon goût. La plume de l'auteur est belle sans être pesante, avec un langage soutenu et un vocabulaire précis.

Finalement, mon seul vrai reproche concerne l'intrigue alternée prenant place au XIXe siècle. Certes, ces chapitres sont souvent très courts, mais le personnage au centre de ces passages n'est pas vraiment attachant. J'ai trouvé ces pages particulièrement peu passionnantes. Leur seul intérêt est de mettre en évidence la disparition (quasi) totale des éléments fantasy en l'espace de quelques siècles, pour laquelle l'explication reste à venir.

Et ça tombe bien, car justement un deuxième tome des aventures du Bâtard de Kosigan est déjà paru, un troisième est prévu pour cet été, et plus encore ensuite, certainement, vu la qualité des ouvrages. Une série à découvrir et à suivre, indéniablement.