Les Chroniques de l'Imaginaire

Port d'âmes - Davoust, Lionel

Le chef de la maison Kaledàn a perdu une grosse somme d’argent. En échange du solde de ses dettes, il accepte de vendre son fils unique et héritier. A quatorze ans, Ruys ap Kaledàn est donc condamné à la servitude dans la marine pour huit longues années. Une sentence de mort en somme pour lui et l’avenir de sa maison. Car peu survivent à leurs années d’esclavage, encore moins ceux d’origine noble.

Pourtant, au bout de huit années, Ruys débarque avec son navire dans le port de la cité franche d’Aniagrad. L’occasion est trop belle : il va pouvoir faire renaître l’honneur de la maison, son nom et son titre. C’est là qu’il rencontre Edelcar Menziel, un ami de son père, trépassé pendant les années de services de Ruys. Menziel travaille sur un projet secret et propose à Ruys de s’associer avec lui, comme son défunt père avant lui. Tenant sa revanche et l’occasion de faire ses preuves, le jeune noble s’investit, lui et le peu de fortune qui lui reste, dans l’aventure.

Mais dans la ville où tout se vend et tout s’achète, la politique et les intrigues ne sont qu’une marchandise de plus, une marchandise dangereuse. Une seule règle : ne pas aller à l’encontre de la toute puissante Administration d'Aniagrad.

Avec Port d’âmes, Lionel Davoust signe un roman de fantasy de qualité tant sa plume est agréable et son style plaisant. L’univers du livre est vraiment fascinant et demande à être exploré plus en détail, comme si derrière l’histoire se cachait une histoire plus grande encore. Le récit, quant à lui, possède ses forces et ses faiblesses.

Son héros, Ruys ap Kaledàn, par exemple, est l’archétype du noble au grand cœur et aux valeurs morales et intellectuelles de haute volée. Comme souvent, ces qualités s’accompagnent d’une incommensurable naïveté qui donne envie au lecteur de le secouer comme un prunier pour lui apprendre la vie. Mais pas besoin de s’énerver sur son livre de poche qui n’a, du reste, rien demandé à personne, Lionel Davoust se charge de tout. Les baffes à la chaîne arrivent. On déplore toutefois un cousinage très – trop – prononcé avec des héros emblématiques du genre : Fitz Chevalerie en tête, John Snow et le Duc Léto Atréide, dont le nom de la planète natale n’est pas sans rappeler le patronyme de Ruys. Un hommage ?

La politique et les machinations prennent également une grande place dans le livre. Alors évidement, à l’heure d’un Game of Thrones, elles sont forcément un peu pâlichonnes, un peu trop proprettes. Comme si la noirceur que la ville recèle dans ses bas-fonds et les menaces de son Administration peinaient à être vraiment rendues par un style trop panaché et trop brillant.

En revanche, il est un aspect du roman proprement fascinant et addictif. Il s’agit de tout ce qui concerne les Vendeurs d’âmes. Ces pauvres hères qui ont tout perdu - ou qui cherchent à oublier - se mettent à vendre la seule chose qui leur reste : leurs souvenirs. Mais il n’est pas question d’histoires au coin du feu, non. Ces vendeurs entrent dans une transe dangereuse, enrubannés des volutes de fumées d’une drogue mystérieuse, comme des fumeurs de hachich dans une tente bigarrée. Là, ils transfèrent un souvenir choisi dans le client qui les paye. Dans ce nouvel hôte, les souvenirs vont vivre ou mourir, selon l’importance avec laquelle ils seront choyés. En voilà une belle métaphore de la littérature, elle qui permet de vivre milles vies et de vivre milles sentiments et idées nouvelles, simplement en lisant. Comment ne pas être séduit par la poésie du récit du rituel de transfert ? Comment ne pas être touché dans l’âme par l’idée, l’horrible idée, d’être dépouillée d’une partie de soi, irrémédiablement ? Sommes-nous autre chose que l’addition des souvenirs et des expériences qui nous composent ? Et à chaque souvenir, le Vendeur d’âme se vide de son essence jusqu’à disparaître en quelqu’un d’autre.

Avec une telle beauté et un tel univers, on reste frustré d’être attaché à un jeune homme un peu trop naïf et un peu trop déjà connu. Quand on sent sous la surface un potentiel incroyable, on juge un peu plus durement. Port d’âmes est un bon livre mais il aurait pu être exceptionnel. L'insatisfaction n’en est que plus vive.