Filiforme, ou encore longiligne. Ce sont les adjectifs qui décrivent le mieux la silhouette de cet homme qui se balade dans les rues de ce qui semble être Paris. Il passe et repasse devant une fenêtre, puis ose un coup d’œil, avant de sonner à la porte. L'homme se nomme Alexandrin de Vanneville et c'est un poète. Un véritable homme de lettres comme on n'en voit plus, et qui ne cause qu'en alexandrins, justement. Une manière de s'exprimer fort à propos, notamment pour gagner sa vie, en vendant des poèmes...
Alors, parfois, cela fonctionne et les amoureux des mots lui achètent quelques vers, ce qui lui permet de subsister. Mais cela n'est pas le cas partout, évidemment. Et bien souvent, et malheureusement, Alexandrin se voit contraint de fuir devant des énergumènes bien malpolis qui seraient à deux doigts de le truffer de plomb, en le prenant pour un vulgaire mendiant...
Ainsi, Alexandrin va seul et subsiste avec les mots. Mais cela est sur le point de changer, lorsque sa route croise celle d'un jeune garçon qui a faim. Un garçon nommé Kevin, qui vient de fuguer de chez ses parents. Alors, le vieil Alexandrin le prend sous son aile, aidé en cela par un joli sens de la répartie. Kevin devient ainsi rapidement un jeune apprenti plein de talent, qui suit les pas d'Alexandrin.
Il n'est pas fréquent de tomber sur ce genre d'ovnis, où les mots ont une importance considérable. Évidemment, les textes de Pascal Rabaté sont ici un véritable tour de force jubilatoire, un plaisir trop rare qu'on aura néanmoins déjà pu connaître avec des bandes dessinées comme Une affaire de caractères de François Ayroles, ou encore dans une série comme De Cape et de Crocs, dans une autre mesure.
Ici donc, l'intégralité des dialogues, ou presque, se font en alexandrins, réellement. Et il faut reconnaître que cela est si bien fait qu'on ne s'en rend même plus forcément compte, tant l'écriture est fluide. Des alexandrins avec du langage familier, oui, c'est tout à fait possible !
Les dessins de Kokor, pleins de poésie également, servent parfaitement ce récit. L'auteur du récent Au-delà des mers nous gratifie encore de son trait fin et léger, de ses couleurs parfaitement douces, presque crayonnées, qui font la part belle à une formidable lisibilité. Ce one-shot se parcourt avec délice et entrain, notamment bien sûr lorsqu'on aime la langue française. Mention spéciale également pour ce trait d'humour envers les auteurs de bande dessinée, fort à propos et tout à fait bienvenu.
Une très belle histoire éditée chez Futuropolis !