Nous sommes en Bretagne, un jour pluvieux où le crachin a décidé de se transformer en une terrible averse. Un personnage, un mulet, attend seul sous la pluie, à un arrêt de Navibus... Un automobiliste le prend en pitié et l'amène jusque la ville la plus proche. Mulo, puisque c'est ainsi qu'il s'appelle, ne donne pas les raisons de sa présence en Bretagne. Il sait qu'il doit se rendre à une conserverie désaffectée, où il saura quelle sera la suite donner à son périple...
C'est après avoir donné un coup de main à Sim, un singe journaliste en vacances dans la région, que Mulo se rend à la conserverie en question. La lettre qu'il a reçue quelques temps plus tôt ne mentait pas : Mulo trouve un paquet renfermant une cassette vidéo dans le casier qui était indiqué dans la lettre. Et la cassette en question va commencer à délivrer ses secrets...
La vision du contenu de la cassette va remuer sacrément le passé de Mulo. Il s'agit de l'enregistrement d'un vol qui a sacrément mal tourné. Un vol qui a coûté la vie aux parents de Mulo, alors que ce dernier était encore un nourrisson sans défense. Un enregistrement qui explique pourquoi Mulo a dû vivre une enfance d'orphelin... Et comme en Bretagne, tout le monde se connaît dans les petits villages, il ne faut pas longtemps pour reconnaître un certain Belin. Et une amie de Sim sait où ce dernier habite... A partir de maintenant, le jeu de piste peut continuer...
J'avoue avoir été décontenancé avec ce premier tome de Mulo, qui représente par ailleurs une histoire complète. Sans avoir rien lu sur cette série avant de la lire, je m'attendais presque à quelque chose d'enfantin, en me disant que des animaux étaient en scène. Il s'est vite avéré qu'il n'en était rien : on tient là un polar animal dont la pièce maîtresse n'est autre qu'un désir de vengeance à assouvir. Quelque chose de bien plus sombre et glauque, qui se rapproche de Blacksad, une autre série phare de la galaxie Dargaud...
Le livre est aussi l'occasion de découvrir, ou se rappeler avec bonheur, quelques éléments typiques de la Bretagne. Je recommande au passage ce whisky Eddu, au blé noir, que les personnages principaux dégustent, et qui est distillé dans le Finistère Sud... Et je passe sur les publicités mettant en avant le fameux Breizh Cola régional. On tient là des personnages travaillés, pleins de tristesse, au lourd passif.
Et on comprend au fur et à mesure ce qui a amené Mulo en ces lieux. Une lettre reçue chez lui, de la part d'un mystérieux expéditeur. Peut-être quelqu'un qui a envie de boucler une boucle, allez savoir... Cette histoire de vengeance est ainsi parfaitement amenée, avec un récit qui fait la part belle aux flashbacks, parfaitement maîtrisés dans la narration.
Les dessins et les couleurs de Cédrick Le Bihan sont une très belle réussite sur cet album : c'est beau, vraiment travaillé. Cela supporterait presque la comparaison avec certaines cases de Blacksad, et cela surpasse largement une série comme Karl & Klee, qui n'avait pu durer plus de deux tomes. Ici, on a des expressions soignées au possible, des cadrages osés, des scènes d'action terribles, et le tout bénéficie de transitions franchement soignées. Les phylactères sont souvent en petit nombre, signe que le dessin se suffit à lui-même, bien souvent, pour nous plonger dans cette ambiance. Il n'empêche que certains dialogues, bien sentis, restent tout à fait plaisants et incisifs, et on se dit que Pog et Le Bihan ont réussi à faire un tome très complet en 80 planches.
Comme la première édition propose en outre un très joli cahier graphique de douze pages, on se dit qu'il est finalement assez indispensable de courir se procurer ce premier tome de Mulo, si ce n'est déjà fait. J'espère pour ma part qu'un second tome est bien prévu, et qu'il nous parviendra bien vite pour en apprendre encore un peu plus sur la psychologie de ce mulet orphelin (et on sait pourquoi, à présent...).