Nous sommes dans les Cévennes, en septembre 1958. Pour des gens qui ont l'habitude du soleil, on peut dire que le chamboulement est important, avec cette tempête qui se déchaîne depuis plusieurs jours. Tous les cours d'eau environnants sont sortis de leur lit et largement, depuis plusieurs heures, et on dénombre même des morts, à l'heure qu'il est. Jean, le toubib local, ne chôme pas, venant au secours aux gens qui en ont besoin, comme d'habitude. Et alors qu'il se rend compte que des ponts ne sont plus praticables, voilà qu'il pense à son père, qui va se retrouver seul sur une colline qui deviendra une île...
Mais il n'est pas encore trop tard pour rejoindre le paternel : en conduisant vite et en sacrifiant sa voiture, Jean parvient à gagner la colline en question et à se retrouver nez à nez avec un père qu'il ne voit pas souvent. Il était temps, car l'eau est maintenant montée : Jean est coincé sur cette île avec son père, et la demeure et les chèvres de ce dernier comme seule compagnie.
Alors, il est grand temps de parler, puisque l'occasion est donnée à ces deux là de tout se dire. Et à commencer par les origines, les vraies, de Jean... C'est en voyant une photo de Clémence, la femme du père de Jean, que tout revient à la surface... Ils ont toujours dit à Jean qu'il était de la famille, avec Clémence pour grand-mère et une certaine Simone pour mère. La jeune femme en question s'est jetée du haut d'une falaise le jour de ses seize ans, par dépit amoureux, et au moment où elle était enceinte de Jean.
Sauf que Simone n'était pas du tout la mère de Jean, bien loin de là...
Le jeune homme va se confier, lui aussi, sur tout ce qu'il a fait, en Guyane et en Indochine, durant toutes ces années où il n'a pas donné de nouvelles. Des années où il agissait pour le compte du gouvernement français, presque aveuglément, en favorisant le fait de cacher les dissidents, parfois dans des conditions de détention déplorables, dans des bagnes miteux où il fallait bien pour autant les soigner...
L'île aux remords est un one-shot qui paraît chez Bamboo Grand Angle. Les auteurs, Didier Quella-Guyot au scénario et Sébastien Morice au dessin et à la couleur, n'en sont pas à leur première œuvre ensemble, puisqu'on leur doit déjà Facteur pour femmes et Boitelle et le café des colonies, tous deux également disponibles chez Grand Angle.
C'est avec plaisir qu'on retrouve les dessins et les couleurs d'une grande finesse de Sébastien Morice : la couverture est magnifique, comme pour les deux autres livres cités, et les planches ne sont pas en reste... Ainsi, on retrouve des personnages soignés, dans des décors somptueux : les montagnes, les cieux déchaînés, l'eau, tout y est parfaitement réussi, avec des couleurs discrètes qui sont tout simplement superbes.
Le récit a lieu sur deux plans : d'un côté, on est dans une histoire de famille qui nous régale avec une complexité certaine et étudiée, et avec des rebondissements fréquents, basés sur les révélations que doit subir Jean en écoutant ce vieil homme. De l'autre côté, on se retrouve devant un morceau d'Histoire, sur le vécu de Jean dans les anciennes colonies françaises. On a déjà cité l'Indochine ou la Guyane, mais il y a aussi l'Algérie qui sera largement évoquée dans ce tome. Des voyages qui auront marqué Jean, forcément, et qui le mettront devant ce qu'il est réellement...
L'île aux remords est un récit poignant et exigeant, qui n'a rien à envier aux meilleurs scénarios de Laurent Galandon, mêlant une petite histoire familiale au sein de la grande Histoire. Magnifique et poignant : il serait dommage de ne pas le découvrir...