Les Chroniques de l'Imaginaire

Souterrains - Baudy, Romain

S'il est une chose qui est bien ancrée dans l'histoire du bassin minier, c'est bien le métier de mineur. Des hommes qui ont creusé de plus en plus profond, afin d'extraire le charbon de la terre. Des hommes qui ont fait s'élever les fameux terrils au fil des années. Des centaines de kilomètres de galeries ont ainsi été creusées, et des chevaux se sont bien souvent retrouvés aussi au fond, histoire de tirer les wagonnets remplis de terre et de charbon, à trier. Mais pour le vieux mineur qui est le dernier à remonter, rien ne le préparait à ce qu'il a devant les yeux en cette fin de journée...

C'est dans ce contexte qu'on retrouve Henri et Lucien, à la surface, alors qu'il se dit qu'un nouveau sabotage a eu lieu dans les galeries. Henri est plutôt du genre syndicaliste, à toujours voir le mal partout, surtout lorsqu'une nouvelle machine est en cours d'acheminement dans la mine. Pour lui, il est clair que ce sera encore une de ces machines qui va remplacer plusieurs hommes. Encore des emplois en moins... Mais Lucien, le beau-frère d'Henri, est plutôt d'un naturel optimiste, bien plus intéressé par son jardin et sa jolie petite famille.

Mais voilà que Henri a justement l'occasion d'apercevoir ce que sera cette future machine pour l'instant gardée furieusement secrète par le patronat. Il aperçoit ce qui ressemble à une main métallique... De quoi lui faire encore imaginer des histoires dingues, qu'il rapporte bien évidemment dans les réunions tardives, bien souvent au bar...

Et puis, la machine en question est présentée : il ne s'agit que d'une nouvelle machine permettant de faire le tri, du moins en apparence. Car cinq hommes sont volontaires pour essayer la machine en question, au fond de la mine. Cinq hommes, dont Lucien, qui voit là l'occasion de toucher une belle prime, même s'il a dû s'expliquer avec Henri. Et Henri ne tarde pas à se rendre compte que le patronat tente de les piéger, avec effectivement un robot très intelligent et très puissant, qui abat vite le travail de dix mineurs à lui seul...

Lucien tente de saboter le robot en question, mais n'y parvient pas. Au contraire, il ne fait que provoquer un éboulement, et le robot en question sera d'une aire précieuse pour sauver les hommes, et s'enfoncer dans les galeries. Et en s'enfonçant de la sorte, ils tomberont sur un lieu qu'ils étaient à mille lieux d'imaginer...

Romain Baudy est à la fois au scénario et au dessin dans cet immense one-shot, Souterrains, qui paraît chez Casterman. On y fait la connaissance de mineurs, des personnages immédiatement attachants, pour lesquels on a de l'empathie, surtout devant la dureté de leur métier, et devant leurs craintes par rapport à ce que leur réserve le patronat.

Et puis, le quotidien fait de l'histoire d'une région fait place à quelque chose de bien différent : Romain Baudy fait voler en éclat les frontières en introduisant des êtres qui ont tout de nains, vivant sous les mines, et craignant pour leurs habitations à cause, justement, de l'activité minière. C'est alors un tout nouvel univers, fantastique, qui s'ouvre sous nos yeux.

Car les nains en question ne sont pas les seules créatures étranges, et les cinq mineurs volontaires, accompagnés de leur porion, ne tardent pas à s'en rendre compte. Ces souterrains comptent aussi la présence de créatures gigantesques, qui semblent être les esclaves des nains. Des créatures qui semblent vivre en symbiose avec des plantes environnantes. Pour les mineurs, le salut passera sans doute par un soulèvement auprès de ces créatures, devant les nains...

Romain Baudy, donc, se régale à mélanger les genres, et le moins que l'on puisse dire est qu'il le fait très bien, de façon extrêmement convaincante. Le récit est fluide, dynamique, et le découpage en petits chapitres proposé fait complètement mouche. Les dessins ne sont pas en reste, beaux et fins, avec de grands aplats de noir rehaussés par les jolies couleurs d'Albertine Ralenti. C'est bien souvent sombre et glauque, ce qui est parfaitement normal, mais les effets de bioluminescence avec ces étranges plantes sont franchement très bien réalisés. Le découpage n'est pas en reste, et on aura également droit à de très jolies prises de vue, souvent audacieuses : de quoi transporter complètement le lecteur dans cette histoire.

Un one-shot qui mêle les genres, avec un côté steampunk également parfaitement amené. On a bien du mal à lâcher le livre avant son dénouement, ce qui est le signe, encore une fois, d'une très jolie réussite.