Les Chroniques de l'Imaginaire

Les griffes et les crocs - Walton, Jo

Attention : il ne faut pas se fier à la jolie couverture qui peut faire croire à un roman tout à fait classique.

Des demandes en mariage, une mère qui ne veut pas que son fils épouse une fille de plus basse extraction, des aristocrates qui ne veulent pas frayer avec des personnes de moindre rang, des trahisons, des procès pour héritage, des soirées où tout le gratin se rue... Vous pensez lire un roman de Jane Austen ou d'Anthony Trollope ?

Pas du tout !
Pas un seul humain n'évolue dans ce roman hors normes (enfin, peut-être...).
Non, ici ce sont des dragons, des dragonnes, des dragonnelles et des dragonnets qui évoluent dans une société de style victorien adaptée à des êtres faits d'écailles et de crocs, qui ont des coutumes à la fois très civilisées et très bestiales.

Ces dragons se comportent comme des humains : ils aiment, ils complotent, ils intentent des procès, ils meurent, ils se fiancent, ils ont des enfants et meurent en couches,... Mais tout cela avec beaucoup de trouvailles toutes plus réjouissantes les unes que les autres ! La plus remarquable étant le cannibalisme qui régit leur société.

La richesse de ce roman est la quantité incroyable de coutumes, de mœurs, mises en scène par l'auteure, toutes plus originales les unes que les autres, mais intégrant aussi de façon originale les mythes relatifs aux dragons : ils crachent du feu, ils vivent très vieux, ils dorment sur des pièces d'or, etc. Et puis d'autres complètement nouvelles, que je ne peux pas dévoiler ici, pour ne pas gâcher la surprise.

C'est un vrai plaisir de découvrir ce monde, cette société entièrement bâtie et pensée par l'auteure. Rien n'a été oublié.
On fait un véritable voyage. Mais où ? Dans le temps ? Dans l'espace ? Non, dans l'imaginaire !

Les personnages sont dignes d'un roman victorien : les dragonnelles sont innocentes, les dragonnes belles-mères roublardes et méchantes, les jeunes dragons aristocrates fougueux et dépensiers, les vieux dragons sages ou fauteurs de trouble.

Avec des personnages humains, ce roman n'aurait absolument rien eu d'original.

La grande force de Jo Walton est d'avoir su créer un monde calqué sur le nôtre, une société ayant beaucoup de points communs avec celle de notre dix-huitième siècle, mais avec des personnages complètement inattendus.
Le roman se découpe en plusieurs petites parties, traitant chacune d'un membre d'une famille. Au fil des pages, les événements s'enchainent, se croisent, pour finir bien sûr sur une fin heureuse avec même l'apparition d'un personnage mystérieux sans cesse évoqué mais dont on ne sait jamais tout à fait qui il est vraiment.

L'écriture est agréable, sans être aussi ciselée que celle de véritables auteurs de l'époque victorienne, mais cela rend le roman plus abordable aux lecteurs contemporains, jeunes et moins jeunes.

Contrairement à mon habitude, je n'ai pas dévoré (!) ce livre, je l'ai dégusté, j'ai pris mon temps, je n'avais pas envie de le terminer tellement j'ai aimé l'atmosphère qui s'en dégage, à la fois cruelle et drôle, originale, amusante. On se croirait presque retombé en enfance, à voir évoluer ces dragons qui peuplaient notre imaginaire.

Une véritable réussite, un vrai petit bijou ! Quel dommage que ce ne soit qu'un "one-shot" !!

La quatrième de couverture a raison d'afficher "Vous n'avez jamais lu un "roman de dragons" comme celui-ci." !