Jouer le rôle d'Hamlet ! Viola Lark, jeune actrice londonienne, est d'ordinaire réticente à interpréter des rôles dans des pièces modifiant le sexe des personnages mais ce rôle est une occasion en or. Elle peine à trouver un rôle à sa mesure depuis le Blitz huit ans auparavant et Hamlet, ses relations familiales compliquées, son instabilité psychologique, n'est pas sans lui rappeler sa propre personne. Viola fait partie de la fameuse famille noble des Larkin et souffre encore de son enfance isolée du monde extérieur, passée en compagnie de ses cinq sœurs, toutes aussi fragilisées et obsessionnelles qu'elle. Son obsession à elle, le théâtre, va l'entraîner sur un chemin bien plus dangereux qu'elle ne l'avait prévu en coupant les ponts avec sa famille. Lorsque l’interprète de Gertrude, la mère d'Hamlet, est retrouvée morte dans une mystérieuse explosion, les répétitions prennent une tournure inattendue pour la jeune femme. Dans cet univers alternatif, l'inspecteur Carmichael est envoyé enquêter sur l'affaire, qu'il espère bien différente de celle l'ayant contraint à compromettre son intégrité pour protéger le nouveau premier ministre du Royaume-Uni et proche allié d'Hitler, Normanby. Malheureusement pour lui, les difficultés ne font que commencer.
Hamlet au Paradis est une suite du Cercle de Farthing mais la série change d'optique générale. Là où le premier tome faisait la part belle à l'enquête, l'univers alternatif ne représentant qu'une toile de fond plus générale, la tendance s'inverse ici. Hamlet au paradis est moins un roman policier qu'un roman d'aventure et d'espionnage dans un univers dystopique. Normanby au pouvoir, le droit d'expression apparaît de plus en plus menacé et la vie des Juifs, y compris britanniques, est en sursis. Nos héros sont à présent directement confrontés à toutes ses évolutions négatives et amenés à prendre des décisions difficiles. Jo Walton donne corps au climat de suspicion, de délation des plus sombres heures de l'histoire européenne. Je n'ai pu m'empêcher de me sentir glacée ou mal à l'aise à plusieurs endroits du récit, ce qui a renforcé mon empathie envers les personnes. Voici un roman où les enjeux de la réussite ou de l'échec des protagonistes n'apparaissent que trop clairement. Et on ne peut qu'espérer avec eux que cet univers rebascule du bon côté de l'histoire.
Nous retrouvons justement l'inspecteur Carmichael et son fidèle acolyte Royston, deux semaines après les événements du premier ouvrage. Carmichael, toujours marqué par les événements, se débat avec sa conscience pour poursuivre son travail le plus rigoureusement possible. Lucy Eversley, héroïne du premier opus, cède quant à elle sa place à Viola. Les deux héroïnes ont pour point commun une famille noble oppressante et la découverte progressive des horreurs de cet univers. Leur caractère diffère suffisamment pour éviter l'impression de suivre à nouveau la même héroïne sous un avatar différent. Si les deux font figure de femmes fortes, Viola a osé couper plus nettement les ponts avec sa famille. Le monde du théâtre présenté à travers les yeux de Viola offre un décor inattendu et intéressant.
Ce roman reprend le principe de la narration alternée, à la première personne à travers le témoignage de Viola puis à la troisième personne, à la suite de l'inspecteur Carmichael. Ce fonctionnement est toujours aussi plaisant car il multiplie les points de vue sur un même événement et donne une réelle profondeur à l'univers. Il contribue en outre à faire monter progressivement la tension. L'ouvrage se termine en apothéose et donne envie de se précipiter sur le tome suivant, le dernier de la série.