Les Chroniques de l'Imaginaire

Quatrième époque (Août - Septembre 1936) (Mattéo - 4) - Gibrat, Jean-Pierre

C'est en Espagne, ou plutôt en Catalogne, qu'on retrouve Mattéo, Robert et Amélie, eux qui ont fui la France après avoir pu voler des armes. Pour Amélie, cela s'est fait sur un sacré coup de tête, et sur une rupture... Mais l'accueil réservé en Catalogne est assez surprenant : les armes en question sont italiennes, alors les soupçons vont bon train à l'encontre des trois Français. Ces derniers n'auront pas d'autre choix que d'attendre quelques investigations pour devenir enfin, officiellement, des compagnons de la Révolution, à Barcelone.

Mais rapidement, un choix va devoir se faire, qui va opposer Mattéo à Robert : pour Mattéo, depuis ce qu'il a vécu en Russie, il est impensable de lutter auprès des communistes. Et pour Robert, les anarchistes, par nature dépourvus de têtes pensantes, ne pourront pas gagner. Alors, l'amitié se meurt, et Mattéo et Amélie se retrouvent à devoir reprendre un petit village dans les terres, du nom d'Alcetria.

Mais sur place, les compagnons des Républicains déchantent vite : les hommes sont peu nombreux, peu enclins aux ordres, et les armes viennent à manquer terriblement, elles aussi. Seule Amélie peut voir Alcetria avec une vue imprenable, elle qui s'est entichée d'un aviateur britannique, venu lui aussi prêter main forte aux anarchistes. Pire : les hommes découvrent bientôt un wagon rempli de vin... La fête va bon train, et les maux de têtes également. Pas vraiment l'idéal pour gagner une bataille où les snipers rôdent du haut du clocher.

Alors, Mattéo va se décider à prendre le commandement. Une chose totalement nouvelle pour lui. Et il va mener un assaut victorieux, après avoir brûlé les barriques de vin restantes, et en prenant de la hauteur. En outre, l'arrivée d'Anechka, une Polonaise sportive de haut niveau, qui va également prendre sa part au combat, va grandement aider les choses. Aussi bien pour la bataille que pour les nouvelles affres amoureuses de Mattéo...

Bientôt, Alcetria est prise et son curé, qui était un sniper efficace, est blessé. Tout semble aller pour le mieux, jusqu'à ce que l'avion d'Amélie et de son Britannique d'aviateur ne revienne plus après une simple mission de reconnaissance. L'inquiétude refait vite surface, au milieu de ces splendides paysages espagnols...

Après nous avoir amenés dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale, dans la Révolution russe, et dans les premiers congés payés de 1936, Jean-Pierre Gibrat joue de nouveau avec nos fragiles nerfs de lecteurs dans ce quatrième tome de Mattéo, qui paraît chez Futuropolis. Les trois premiers albums constituaient tous une claque, qu'elle soit visuelle ou narrative, et ce n'est pas ce quatrième tome qui fera exception à la règle...

Ainsi, bien entendu, lorsqu'on évoque le nom de Jean-Pierre Gibrat, on a en tête les merveilleux dessins, réalistes, les couleurs superbes, les jeux de lumières étonnants, et le travail raffiné des expressions sur les visages des protagonistes, qu'ils soient d'ailleurs principaux ou secondaires. Bien entendu, ces éléments sont encore une fois bien présents dans cette nouvelle production estampillée Gibrat. Les décors sont d'ailleurs loin d'être en reste, la région où Gibrat nous emmène s'y prêtant particulièrement bien.

Mais la prouesse n'est pas que graphique, dans ce nouveau tome de Mattéo : le personnage principal, déjà bien mis à l'épreuve dans les tomes précédents avec sa relation avec Juliette, gagne encore ici en profondeur et en complexité. Mattéo doit prendre les responsabilités qu'il a déjà refusées, simplement parce qu'ici il n'a pas le choix. On lui trouvera un côté plus sombre, peut-être plus résigné, plus inquiet aussi, même si le personnage parvient à conserver toute son humanité.

L'album n'est en outre pas dépourvu d'humour, certaines répliques étant franchement ciselées et faisant vraiment mouche. Le rythme du récit est lui aussi vraiment abouti ; les découpages, les temps morts, les moments où la lecture est plus dense : tout ceci est équilibré, et rend la lecture fluide et agréable, tout en laissant le temps d'admirer des planches qui sortent encore complètement du lot.

Il s'est passé quatre ans depuis le tome précédent. Pour avoir ce niveau de qualité et avant de sortir l'ultime tome de cette série, il faudra prendre le temps.