Les Chroniques de l'Imaginaire

Comprendre - Vultur, Ioana

Cet ouvrage traite de la question de l'herméneutique, c'est-à-dire – pour vulgariser – du fait que l'être humain comprenne et interprète l'ensemble des éléments de son existence, à la lecture d'un texte ou au détour d'une conversation. Le prologue explicite cette définition d'herméneutique en détaillant notamment l'évolution de cette conception : des penseurs de l'Antiquité grecque avec leur approche de l'heuristique comme art divinatoire (Platon) ou, déjà, comme manière de signifier quelque chose (Aristote) puis de la conception allégorique de Saint-Augustin et celle grammaticale de Luther pour arriver jusqu'à des approches plus fréquemment mobilisées dans le reste de l'ouvrage et plus contemporaines dont : 

- celle de Dilthey, qui conçoit l'herméneutique comme une méthode et distingue deux méthodes de connaissance (l'explication et la compréhension), l'une s'appliquant aux sciences de la nature, l'autre aux sciences de l'esprit,

- celles de Heidegger et de Gadamer, où l'herméneutique se fait théorie de l'être plus que de la connaissance : pour Heidegger, l'homme appartient au monde et est défini par sa capacité à l'interpréter et s'autointerpréter, la compréhension étant dès lors une manière d'être ; pour Gadamer, l'herméneutique est une pratique de la vie quotidienne en ce qu'elle se réfère à l'intégralité des actions humaines,

-celle surtout du Français Ricœur : pour ce dernier, l'homme ne peut se comprendre directement, toute compréhension découle d'une explication. En cela, l'herméneutique se trouve liée aux sciences sociales.

L'auteure interroge premièrement l'apport de l'herméneutique à la psychologie, la plus expérimentale des sciences de l'homme, avant de se tourner vers les sciences sociales, l'histoire et les humanités au sens large, dont l'art. 

La question d'accessibilité est centrale pour un essai : l'ouvrage peut-il être lu par le plus grand nombre ? Les premières pages du prologue partent de l'idée même de compréhension avant de se tourner vers les apports des différents auteurs en termes d'herméneutique. Cette entrée en matière permet de familiariser le lecteur néophyte avec l'herméneutique et de rafraîchir la mémoire des autres. Si l'ouvrage gagne bien sûr en profondeur au fil des pages, il ne devient jamais obtus, l'auteure reformulant et synthétisant ses grandes idées aux moments les plus appropriés. Nul besoin donc d'être un expert du sujet, ni de toutes les sciences humaines évoquées dans l'ouvrage, même si bien sûr il faut avoir un certain bagage en matière d'instruction pour se frotter à un ouvrage de ce type quel qu'il soit. On trouvera un plus grand intérêt à l'ouvrage en ayant soi-même une appétence pour l'une ou l'autre de ces sciences. Leur passage au crible d'une lecture herméneutique permet de les redécouvrir d'un regard neuf. 

Dans mon cas personnel, ce fut le chapitre sur les sciences sociales puisque j'exerce professionnellement dans un domaine s'appuyant fortement sur les enseignements sociologiques. Après un passage en revue des penseurs clefs de la sociologie (Durkheim, Weber, Habermas…), Ioana Vultur explique en quoi l'herméneutique permet de dépasser la traditionnelle opposition entre holisme, individualisme et interactionnisme qui reste encore aujourd'hui au cœur de bon nombre de travaux dans ce domaine sociologique. 

J'ai également trouvé un intérêt aux autres domaines présentés, et notamment à l'histoire de l'art qui est un domaine que je ne maîtrise par personnellement. Le fait d'aborder chaque domaine en resituant les différentes approches (sociologique, historique, psychologiques, etc.) les unes par rapport aux autres permet ici aussi aux néophytes de saisir rapidement les grands enjeux de cette discipline avant de se focaliser sur la question de l'herméneutique. 

Ioana Vultur nous offre donc un ouvrage clair, bien documenté, pouvant plaire à un grand nombre d'amateurs de sciences sociales et plus généralement à ceux qui s'interrogent sans cesse sur le monde.