Les Chroniques de l'Imaginaire

Solaris (Solaris - 204)

Dans leur éditorial, Jean Pettigrew et Pascal(e) Raud reviennent sur la disparition de Brian W. Aldiss, l'auteur de SF britannique bien connu des amateurs du genre, et se félicitent par ailleurs du gros succès de la deuxième édition du prix Joël Champetier, lequel démontre, s'il en était besoin, le rayonnement de la revue, et des littératures de l'imaginaire québécoises, dans le reste de la francophonie.

Le volet Fictions, riche et intéressant, comporte :

Les cadeaux de Prométhée, de Jean-Louis Trudel : Deux extra-terrestres choisissent de se trouver à Alexandrie en même temps que l'empereur Hadrien, afin de le convaincre d'écarter le système ptolémaïque comme seule description astronomique du système solaire. Voilà un texte fin, cultivé, original, à l'humour discret... en résumé, très agréable à lire. On remarquera par ailleurs qu'il est remarquablement illustré, en couverture, par Laurine Spehner.

La Cage de l'amour égoïste, de Frédéric Parrot : Un homme ordinaire se retrouve piégé dans un lieu qui existe ou pas, et qui semble une parodie infernale du mythe de la Caverne. C'est là une autre nouvelle originale : même si elle fait un écho lointain à des textes connus, le traitement qui est fait des relations entre les habitants de la Cage, et des différents niveaux de cet enfer particulier, est très personnel. Je l'ai pour ma part trouvée un petit peu longue, mais c'est vraiment un très léger bémol.

La Rosalie d'Elise, de Mathieu Arès : Eli sait que, au fond, il est une femme, mais aussi qu'il souffre trop du rejet de son père pour l'être. Il entreprend donc une mnémorphose. Mais le partage de souvenirs est dangereux. Une vertigineuse histoire d'identité fragile, sur fond de sonate de Vinteuil. Il faut souligner que c'est le premier texte publié de ce critique bien connu des amateurs de Solaris. Je suis bien curieuse de lire les suivants, pour ma part, c'est un essai bien réussi.

Epines, d'Yves Meynard : Sur ce monde étrange et étranger, dévasté par la sécheresse, une menace est dormante, que l'Eglise prétend combattre. Ce texte est à mon sens l'un des deux tout meilleurs. Il réussit à suggérer, en peu de pages, un monde complet, cohérent et crédible, au sujet duquel on aimerait en savoir beaucoup plus.

Nous chanterons la singularité à venir, de Mario Tessier : Pendant que se déroule sur la scène du Metropolitan Opera de New York un opéra mettant en avant la supériorité de l'homme sur ses créatures, la réalité extérieure intervient. Certainement ma nouvelle préférée, et pas seulement parce que je suis une spectatrice assidue des retransmissions HD des spectacles du Met. Comme d'habitude avec l'auteur, c'est un texte fin, intelligent, plein d'humour, et d'une culture ébouriffante. La gradation de l'intrigue, notamment, est accomplie de main de maître. Et bien sûr, comme les éditorialistes n'ont pas manqué de le mentionner, c'est une ouverture parfaite pour Les Carnets du Futurible....

Dans ceux-ci, intitulés Les chants de la science-fiction lointaine, en clin d'oeil évident au roman d'Arthur C. Clarke, Mario Tessier fait un tour exhaustif des ressorts science-fictifs d'une quantité impressionnante d'oeuvres lyriques, de Haydn à Philip Glass et ses confrères actuels. Cet article riche en découvertes ne pouvait que combler l'amatrice à la fois de SF et d'opéra que je suis, en montrant la vitalité du genre et du mode d'expression, surtout si, comme le fait l'auteur, l'on étend celui-ci à l'opérette et à la comédie musicale.

Une nouvelle chronique fait son apparition dans ce numéro de la revue. Intitulée Voyage en pays intérieur, elle vise à donner accès aux lecteurs à l'intériorité de leurs auteurs préférés. C'est Ariane Gélinas qui ouvre ici le bal, avec Espace de la Revenance, dans lequel elle parle de sa fascination pour les villes fantômes, et de la place que certaines d'entre elles tiennent dans ses oeuvres. Illustré par des photos de l'auteure, ce périple est à la fois très intéressant et touchant. Je m'avoue très curieuse de lire les prochaines occurrences de cette nouvelle rubrique, qui commence très fort. J'ajouterai que j'ai trouvé très enrichissant, vu de France, de découvrir les légendes et les histoires à faire peur du Québec.

Comme d'habitude, enfin, j'ai trouvé des pistes de lecture attrayantes, tant chez les Littéranautes, avec l'ouvrage critique de Jean-Louis Trudel sur les littératures de l'imaginaire au Québec, que dans les Lectures, notamment Kalpa impérial, à propos duquel j'hésitais.