Les Chroniques de l'Imaginaire

Les lions d'Al-Rassan - Kay, Guy Gavriel

A Fézana, Jehane est une jeune médecin kindath réputée ayant pris la succession de son père après un terrible événement. Quatre ans auparavant, Ishak, le père de Jehane, a eu recours à tout son savoir-faire pour permettre à la concubine d'Almalik, seigneur de Cartada, d'accoucher d'un petit garçon en bonne santé et de survivre. Pour avoir vu l'intimité d'une femme asharite, Almalik a ordonné qu'Ishak soit éborgné et qu'on lui coupe la langue. Jehane nourrit donc une haine féroce pour Almalik mais se surprend à repousser sans cesse sa vengeance. 

Un jour qu'elle sert ses clients sur le marché, elle fait la connaissance du grand conseiller d'Almalik, Ammar, célèbre poète ayant assassiné le dernier khalife sur les ordres de son seigneur.
Ce même jour, elle est conduite à fuir la ville et rencontre Rodrigo, chef d'une compagnie de mercenaires du royaume du Vallédo. Jehane se trouve dès lors partagée entre son affection pour ces deux hommes, leurs croyances contraires et bientôt la guerre religieuse que se livrent leurs pays et dans laquelle leurs vies se trouvent irrémédiablement transformées.

Commençons par le grand et sans doute seul point noir de l'ouvrage : pour un peu, il ne mériterait pas d'être classé dans un ouvrage de fantasy mais davantage en science-fiction voire même en roman historique. En effet, l'histoire se déroule en Espéragne, à l'aube d'une tentative de « Reconquête ». Le Nord est occupé par plusieurs royaumes de foi jaddite, dont le Vallédo d'où est originaire l'un de nos protagonistes. Le Sud est occupé par des seigneurs de foi asharite, dont Almalik de Cartada. Les kindaths, présents dans toute l'Espéragne, y sont persécutés et sont décrits comme un peuple en éternel exil. Il n'est donc pas difficile au lecteur de lire Espagne plutôt qu'Espéragne, catholique plutôt que jaddite, musulman plutôt qu'asharite et juif plutôt que kindath. Les noms même des protagonistes renvoient directement à ces cultures et traditions religieuses. Ce concept aurait pu être intéressant s'il apportait quelque chose à l'intrigue. Or ce n'est pas le cas. Que le lecteur lise juif ou kindath ne change pas grand chose. On ressent plutôt une envie pour l'auteur de s'affranchir du qualitatif de roman historique pour éviter le possible carcan que suppose cette appellation en terme de précision des faits. Pour reformuler, en changeant légèrement les noms, l'auteur n'a pas à être exact. Le seul élément surnaturel est très marginal et peu utilisé.

Qu'importe ! Une fois passée cette réserve, Les lions d'Al-Rassan est une très agréable lecture. Jehane est un personnage complexe comme on les aime. Partagée entre son désir de vengeance et de pardon, entre le cœur de nombreux hommes, entre son devoir de médecin et sa colère... Jehane est passionnante à suivre au travers de ce pays se préparant à une grande confrontation. Celle-ci résonne comme la fin du monde qu'ils ont connu pour bon nombre des personnages. 

Le roman se situe précisément à l'instant charnière, avant que tout ne bascule, où la rencontre entre plusieurs univers, religions et cultures est encore possible. Nos héros, issus de ces différents mondes, ont l'imprudence de devenir amis ou plus encore. Le lecteur apprend à connaître le brave Rodrigo, le torturé Ammar mais aussi le rusé Mazur ou les loyaux Velaz et Alvar. Il en ressort un caractère d'urgence, une tension s'accroissant à mesure que l'on tourne les pages quand tout nous annonce la fin de cet état de grâce. 

On dévore donc Les lions d'Al-Rassan avec avidité jusqu'à la toute dernière page. Pour les plus fans de Guy Gavriel Kay, sachez que ce roman se déroule dans le même univers que ceux de la Mosaïque de Sarance et du Dernier Rayon du Soleil