Les Chroniques de l'Imaginaire

La petite souriante - Zidrou & Springer, Benoît

Josep Pla, Pep pour les intimes, est un éleveur d'autruches et, s'il demeure un bosseur invétéré pour vivre correctement de son étrange business, il arrive au bout du bout de ce qu'il peut supporter avec Dora, sa femme, après treize années de mariage. Alors, ce soir, Pep a décidé d'en finir avec Dora, en lui éclatant purement et simplement le crâne, et en la balançant dans un puits. Une fois le carnage effectué, Pep nettoie le sang, brûle ses vêtements et rentre chez lui.

Ce qui suit est ce qu'il faut bien appeler de la stupeur, lorsque Dora accueille son mari, comme si de rien n'était. Pep deviendrait-il fou ? Pourtant, il est bien certain d'avoir achevé Dora et d'avoir balancé son cadavre dans ce puits... Il en est persuadé, mais ce n'est pas le cas de Beli, fille de Dora, qui a du coup Pep comme beau-père depuis bien longtemps. Aujourd'hui, celle qui était une gamine quand elle a connu Pep a bien de la rancœur envers Dora. C'est elle qui a demandé à Pep de se débarrasser de sa propre mère. C'est elle qui, maintenant, partage le lit de Pep...

Et bien vite, une fois Beli revenue dans la ferme d'élevage d'autruches, ce sont les deux amants qui vont se remettre à tuer une seconde fois Dora. Cette fois, exactement de la même manière que celle qui sert à achever une autruche : avec une balle entre les deux yeux. Et pour faire disparaître le corps définitivement, pourquoi pas transformer la chair et la donner justement en nourriture aux autruches d'élevage ?

Bon, raconté comme cela, il faut reconnaître que cette histoire est un peu gore. Oui, certes, mais La petite souriante, ce one-shot de Zidrou et Benoît Springer qui paraît chez Dupuis, ce n'est pas que cela ! C'est bien simple, ce livre est un véritable concentré d'humour noir et de cynisme. Voir cet homme complètement dingue de sa belle-fille se soumettre à tous ses ordres est juste absolument terrible. Dora, bien entendu, reviendra bien plus d'une fois, avant de nous surprendre dans un final pour le moins inattendu !

Les auteurs préviennent bien en quatrième de couverture : ce livre, ce n'est pas La petite maison dans la prairie. Pas difficile de s'en convaincre en lisant le pitch plus haut. Il faut tout le talent de Zidrou pour raconter une histoire aussi glauque, et toujours aussi différente de ce que cet auteur aux multiples facettes peut produire. Imaginez que Zidrou est le père de nombreux gags de L'élève Ducobu... Ici, on se rapproche de certaines histoires de Christian De Metter, et je pense notamment au magnifique Piège nuptial, qui se passe dans les régions les plus reculées de l'Australie.

Et il fallait bien toute la force graphique de Benoît Springer (Volunteer, Terres d'ombre...) pour mettre en images tous ces événements qui ont tout du trash et de l'indicible : les visages taillés à la serpe, les expressions où la folie n'est jamais bien éloignée, tout en gardant des personnages attachants ; on est proches de personnages d'Alexandro Jodorowsky, ou encore de certains films de Quentin Tarantino. Le visuel est important dans ce livre, avec de grands aplats de noirs qui nous glacent les sangs lors de cette descente dans le puits, histoire de vérifier que le cadavre de Dora y est bien, ou encore avec ces autruches qui apportent quand même une présence inquiétante...

Un one-shot jubilatoire et hallucinatoire pour tous les fans d'histoires glauques et gores : un grand bravo en tout cas !