Les Chroniques de l'Imaginaire

La Voie des pierres (Les pierres et les roses - 1) - Vonarburg, Elisabeth

Arwèn a bien vu ce qu'il en coûte à Roanna, sa mère, d'être la Moïrag, le véhicule de la Morrigane. Elle sait que cela signifie la mort de tout ce qu'elle est, et elle ne veut pas mourir. Alors, de toutes ses forces, de tout son être, elle résiste à la possession, en bonne partie grâce à l'aide que lui a apportée un étrange enfant qu'elle ne connaît pas, mais qui semble la connaître, et dont elle porte une médaille. Morrigane, toutefois, n'apprécie pas cette résistance, et dans les dizaines d'années à venir fera tout ce qu'elle peut pour en venir à bout et soumettre totalement Arwèn. Mais celle-ci sait, sent, que le pouvoir de la Morrigane n'est plus ce qu'il était avant l'intrusion des Romanes, et surtout avant l'apparition des Géminites et leur étrange magie, si différente de ce qu'elle connaît.

Peu avant sa mort, Carolus d'Angresay fait jurer à Cédric, son fils cadet, d'aller chercher l'aîné, Briann, brouillé avec son père depuis dix ans, et de le ramener. Cédric, qui a toujours adoré son grand frère, n'attend guère pour partir, laissant sa fiancée, AnnaÏg, en charge du domaine, avec l'aide du sénéchal. En passant par les terres Géminites, il secourt des villageois assaillis par des brigands, ce qui lui vaudra le respect, et la confiance, des mages géminites arrivés en renfort. Cela facilitera son passage dans ces territoires où, en tant que Christien, il n'aurait pas forcément été le bienvenu, même si une Trêve a été établi entre les tenants des deux religions par le roi anglais et le pape précédent. Cela lui permettra même d'apprendre que Briann n'est plus en Judée, comme il le croyait, mais en Hongrie, avec son suzerain direct, le duc Arthus de Bretagne, et son souverain, le roi anglais Richard Tête d'Or.

Dans ce Moyen-Âge alternatif, la magie existe, et est notamment pratiquée pour soigner par certains, ou vue par d'autres comme essentiellement diabolique. L'Europe de l'Ouest est grosso modo partagée, suivant une ligne plus ou moins Nord-Sud, entre territoires géminites, dont les habitants révèrent autant la sœur jumelle de Jésus, Sophia, que Jésus lui-même, et pour qui la magie est un don de la divinité, et christiens, où sont majoritaires ceux qui croient que Sophia, qu'ils appellent Sephora, était une sorcière, et que seul le Christ doit être adoré.

Ce que je trouve particulièrement fascinant dans ce roman, c'est ce léger vertige des ressemblances et des différences par rapport à notre propre Histoire. Ainsi, si Richard est Tête d'Or, son frère est toujours félon, et toujours SansTerre. Il s'agit de délivrer Jérusalem, certes, mais des Perses, et ainsi de suite. Et puis c'est très bien fait, bien sûr, avec ces deux histoires, chacune avec ses personnages complexes, qui se déroulent en parallèle, uniquement reliées par ces rêves étranges qu'a faits Briann dans son enfance.

Par ailleurs, et même si La voie des pierres, en tant que premier tome d'une trilogie, est un roman de mise en place des personnages, et du monde physique et social où ils évoluent, il s'agit d'une histoire presque complète, avec une fin à peu près satisfaisante, c'est-à-dire à la fois qu'on sait ce que deviennent les personnages principaux, au moins provisoirement, et que certains des personnages secondaires ont un destin plaisant pour le lecteur. Mais un très grand nombre de fils restent pendants, et nourriront certainement les deux tomes suivants. Pour ma part, j'attends avec la plus grande curiosité de savoir ce qui est arrivé à Briann au cours de ce "trou noir" de dix ans durant lequel il a changé jusqu'à devenir quasi méconnaissable.

Les personnages sont nombreux, et ont une vraie épaisseur, même si Cédric fait figure d'Innocent au début du roman, et doit grandir à vive allure pour rester en vie. Cette épaisseur tient notamment au fait qu'ils sont complexes, sans rien de manichéen, et qu'ils dissimulent et/ou mentent avec une constance digne d'un meilleur emploi. De ce fait, le maintien de l'attention du lecteur est constamment nécessaire pour glaner et retenir au fur et à mesure les quelques informations qui sont distillées au fil des pages. Par ailleurs, le rythme, pour être lent, est soutenu.

En somme, une Histoire crédible, des histoires passionnantes d'amour, d'ambition et de vengeance sur fond de guerres religieuses : pour qui a, comme moi, un vif intérêt pour les romans historiques, surtout ceux se déroulant au Moyen-Âge, alternatif ou pas, et pour la fantasy, ce roman est incontestablement un must.