Les Chroniques de l'Imaginaire

Chroniques du Pays des Mères - Vonarburg, Elisabeth

La situation de Lisbeï à Béthély est particulière : c'est que sa mère est la Capte. Alors, elle est spéciale. Alors, elle est seule. Jusqu'à l'arrivée de Tula. Et après, plus rien n'aura d'importance que Tula. Et même quand elles seront séparées par les habitudes inflexibles de la vie dans les Tours de Béthély. Mais à quinze ans, Lisbeï fera une découverte capitale pour elle, pour Béthély, et pour le Pays des Mères tout entier. Et cette découverte, jointe à sa stérilité, qui fait d'elle une Bleue prématurément, lui fera quitter à la fois Béthély et Tula, qu'elle ne reverra plus pendant des années.

C'est un roman faussement simple, complexement linéaire, tout en effets miroirs, où l'action, quand il y en a, semble souvent vécue "en différé". En très gros, et seulement pour vous donner une idée, je dirai que le roman se déroule sur la Terre, dans quelques centaines d'années, après une série de catastrophes écologiques ("le Déclin") qui ont changé la planète ("Le monde était très différent, avant le Déclin") et après qu'une civilisation très différente, mais paisible, a fini par se mettre en place. Nous suivons un personnage durant la majeure partie de sa vie, et c'est par le filtre de son regard que les autres personnages, et la société dans son ensemble, sont présentés. Mais son regard est souvent distant. Une autre vision nous est également présentée par l'intermédiaire de lettres entre deux autres personnages importants, ou d'extraits de journaux intimes, notamment.

On trouve dans ce roman les thèmes chers à Elisabeth Vonarburg : la question prégnante de l'identité et de l'altérité, et de la communication entre les humains, dont la question du genre sexuel n'est qu'une facette. Je suis toujours surprise quand j'entends parler de "féminisme" à propos de ce roman. Certes, Vonarburg est une femme qui s'interroge sur le sort des femmes, et sur leurs relations avec les hommes, mais elle est très loin d'un certain féminisme qui serait misandre. Son roman renvoie d'ailleurs dos à dos les tenants féroces de la société patriarcale ("les Harems") et ceux de la société matriarcale ("les Ruches").

Le thème de la longévité est aussi très fréquent dans son œuvre et apparaît dans ce roman, même s'il y est moins central que dans Tyranaël.

Le thème enfin des mutations, et/ou des dons spécifiques, de ce qu'ils apportent et enlèvent à ceux qui en sont dotés.

Voici un exemple du style :

"...la situation des hommes en général. Et, somme toute, c'est vrai qu'il y a beaucoup de contradictions là-dedans. Si toutes sont également importantes dans la Tapisserie d'Elli, pourquoi les traite-t'on toujours comme s'ils étaient... moins égaux ? [...] Le fait est qu'ils sont vraiment moins nombreux. Mais ce n'est pas un argument logique. Ils étaient moins nombreux au temps des Harems aussi, mais c'étaient les femmes qui n'étaient pas importantes, à ce moment-là. Les Ruches ont retourné cela comme bien d'autres choses. Puisque nous critiquons plusieurs de ces retournements, pourquoi pas celui-là ?"