Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Château (Les ferrailleurs - 1) - Carey, Edward

Clod Ferrayor a 15 ans et vit dans une demeure un peu particulière située en plein cœur d’une immense décharge, où les objets sont précieux et susceptibles de s’animer. Depuis plusieurs générations, les membres de sa famille se voient confier la tâche de veiller sur ces objets. Chaque membre de la famille Ferrayor se voit attribuer un objet de naissance dont il ne doit jamais se séparer et a un rôle à jouer dans la surveillance et le soin apporté aux objets. Rares sont les Ferrayor à s’aventurer hors du Château ou à s’écarter du destin de leur famille.

Clod va bientôt devenir adulte et être autorisé à porter un pantalon. Cette perspective ne l’enchante guère car elle signifie qu’il devra épouser sa cousine Pinalippy, qui le terrifie. Il s’interroge aussi sur son rôle à jouer dans sa famille, lui qui a toujours été considéré comme un paria en raison du rare don qu’il possède : celui d’entendre les objets parler. Ou plus exactement, d’entendre des objets prononcer un nom de manière répétée. Son objet de naissance, une bonde de douche, répète ainsi sans cesse « James Henry Hayward ».

Lucy Pennant est une orpheline. Elle vivait avec ses parents près de la décharge jusqu’au jour où une étrange épidémie les a transformés en objets. Après un passage par l’orphelinat, elle apprend sa parenté avec la famille Ferrayor et l’un de ses membres vient la recruter comme domestique. Elle va découvrir peu à peu les secrets du « Château » des Ferrayor, l’envers du décor connu par Clod.

Ce roman est le premier de la série des Ferrailleurs écrit et illustré par Edward Carey. Les illustrations de l’auteur, en couverture et en début de chaque chapitre, sont un véritable atout car ils confèrent une atmosphère toute particulière au récit : les personnages présentés par ces illustrations sont expressifs, à la limite de la caricature, et dégagent tous une impression de tristesse. J'ai aussi beaucoup apprécié le plan en coupe de la demeure, même s'il n'est pas utile en soi à la compréhension. 

L’intrigue en elle-même alterne entre les aventures narrées par Clod et celles de Lucy qui, bien qu’ils évoluent dans la même demeure, vivent des événements d’une manière très différente. L’un est un membre de la famille dans son environnement familier, l’autre est une servante venant de l’extérieur et découvrant cet univers sans pouvoir réellement s’y intégrer en raison de son statut. Les deux protagonistes sont sympathiques et leurs péripéties sont également intéressantes. L’alternance de point de vue se déroule dès lors sans heurt : on est aussi heureux de retrouver Clod que Lucy.

Le décor planté par Edward Carey est sombre et fascinant. Le château, étrange demeure tentaculaire isolée du monde extérieur, ne cesse d’intriguer. La famille Ferrayor apparaît comme totalement dépendante de cette bâtisse et cet entre-soi apparaît de plus en plus malsain au fur et à mesure du récit. D'autant plus que leurs prénoms eux-mêmes semblent déformés - Pinalippy pour Pénélope, Moorcus pour Marcus - et que seuls les objets et certains domestiques portent des noms usuels.

Le principe des objets parlant est intéressant, notamment dans les chapitres de Clod, qui peut les entendre. On en devine dès le début le caractère dérangeant. Si le dénouement a bien confirmé certaines de mes hypothèses, cela n’en a donc été que plus glaçant. 

On pourrait presque considérer, avec ses illustrations et son écriture agréable, fluide et simple, que Le Château est un livre adéquat pour des adolescents. Je déconseille cependant de le mettre entre les mains des plus jeunes ou des plus sensibles : ce roman, sans être démoralisant grâce à l’entrain de ses deux jeunes protagonistes, est sombre du début à la fin.