Les Chroniques de l'Imaginaire

Les années d'apprentissage (L'oiseau de feu - 1) - Brossard, Jacques

Le père d'Adakhan Demuthsen venait sans doute d'un autre quartier, ce qui semble a priori impossible. En tout cas, son physique tranchait beaucoup sur l'apparence dominante dans le quartier OSO. Et un beau jour, il est disparu. Or, son fils lui ressemble beaucoup, et cela inquiète la mère de ce dernier. En grandissant, le petit Adekh ne perd pas l'habitude de poser des questions, à commencer par "pourquoi est-il interdit de poser des questions ?". Et il a beau devenir un forgeron réputé même au-delà de son quartier, ces questions le rongent. De plus, si sa liaison, puis son mariage avec Lhianatha, et la naissance d'Elkmuth, leur fils, va l'apaiser un temps, il lui est apparemment impossible de se tenir tranquille, malgré les corrections régulières que lui valent ses incartades. Heureusement, il est, à son insu, protégé par de mystérieux personnages.

Il est vrai que la raison de l'organisation de cette énorme ville en quartiers séparés les uns des autres par de hauts murs, et de l'extérieur par une enceinte encore plus haute, dont il est strictement interdit de s'approcher, n'est pas apparente a priori. Non plus que la raison du mensonge qui dit que la ville est entourée d'une Jungle toxique, alors qu'il s'agit en fait d'un désert. Le lecteur à cet égard est tout aussi perplexe que le personnage principal.

Ce premier tome s'attache à décrire la ville et son organisation tant spatiale, avec ses douze quartiers concentriques, que sociale, avec sa hiérarchie rigide. Il s'en dégage une grande impression d'absurdité. Curieusement, dans un contexte post-apocalyptique apparent, l'absurdité la plus apparente, à savoir les massacres rituels qui se déroulent à la moindre occasion, quoique scandaleuse en soi, a une certaine rationalité, même s'il existe beaucoup d'autres moyens pour empêcher la surpopulation. Il est vrai que ce moyen-là présente l'avantage certain d'être un avertissement pour d'éventuels rebelles, et de laisser une soupape aux émotions violentes de la populace, qui sont la plupart du temps réprimées. Cette répression étant par ailleurs inexplicable et inexpliquée : on n'apprend pas dans ce tome, par exemple, pourquoi il est interdit de pleurer en public.

J'ai eu un peu de mal à définir, à la seule lecture de ce volume, si je lisais une dystopie post-apocalyptique ou un roman de fantasy. En effet, l'organisation de la cité et le niveau de vie des habitants évoquent autant cette dernière : Manokhsor a quelque chose de moyenâgeux, comme les vêtements et les activités de ses habitants. Par ailleurs, certains événements inexplicables (combustion spontanée d'un corps, par exemple, les "anges"...) peuvent s'expliquer aussi bien par une science ou une technologie supérieures que par la magie. Toutefois, les passages faisant intervenir les "montreurs de marionnettes" m'ont incitée à me déterminer pour la dystopie. Les personnages sont intéressants, complexes, crédibles et cohérents, à commencer par Adakhan, malgré son statut évident de cobaye de laboratoire.

J'ai quand même trouvé qu'il y avait des longueurs, trop de passages entre rêve et réalité où le héros, après avoir été battu, ou emprisonné, visite des lieux ou voit des gens dont certains sont morts. Toutefois, l'univers où se déroule l'histoire a un tel potentiel qu'il est impossible d'arrêter sa lecture. J'espère toutefois que j'aurai au moins quelques réponses dans le tome suivant.

Une remarque : si les douze quartiers, et d'une certaine façon, les rites sanglants, peuvent, de loin, évoquer Hunger games, la série de Jacques Brossard est de loin antérieure à la trilogie de Suzanne Collins.