Les Chroniques de l'Imaginaire

Enfants de la terre et du ciel - Kay, Guy Gavriel

Personne ne comprend vraiment pourquoi le jeune Pero Villani a été choisi pour faire son portrait à l'occidentale par Gurçu le Ravageur, le grand Calife osmanli qui a conquis Sarance un quart de siècle plus tôt, mais personne ne va s'en plaindre, et surtout pas le Conseil des Douze qui régit la ville-république de Séressa, patrie du jeune peintre. Il partira, et se rendra utile à son pays. S'il revient, il sera récompensé. Sinon, ce ne sera pas une grosse perte, sauf pour lui, bien sûr.

Leonora Valeri n'a pas grand-chose à refuser au Conseil des Douze : tout ce qu'on lui proposera sera mieux que l'enfermement à vie dans une retraite jaddite, à quoi l'avait condamnée son père. Elle accepte donc d'être envoyée comme espionne à Dubrava, sous le prétexte d'y accompagner son soi-disant mari, le docteur Jacopo Miucci.

Le navire sur lequel ces trois personnes ont pris passage appartient à la famille Djivo, des armateurs dubravae, dont le plus jeune fils, Marin Djivo, est également à bord. Or, ce bateau va être abordé par un parti de raiders senjanis, dont fait partie Danica Gradek, une jeune Sauradienne réfugiée à Senjan après l'incendie de son village et l'enlèvement de son jeune frère par les hajduks. Suite aux événements qui vont se dérouler pendant le raid, Danica va quitter les Senjanis pour devenir garde du corps de Marin Djivo, et partir avec lui, Pero Villani, et un groupe de marchands, pour Asharias - le nouveau nom de la ville qui n'est plus Sarance.

Les lecteurs familiers de l'auteur depuis longtemps reconnaîtront le monde dans lequel se situe le roman : deux religions s'y affrontent, les adorateurs de Jadd, le dieu solaire, et les Asharites, qui vénèrent les saintes étoiles d'Ashar. Les Kindaths, et leur foi pour les lunes, sont méprisés, haïs et/ou utilisés par tous les autres. Nous sommes plusieurs siècles après que "le grand héros Fernan Belmonte" (Les Lions d'Al-Rassan) a fini la réunification de l'Espéragne, les mosaïques qui n'ont pas été détruites délibérément s'écroulent dans les lieux saints asharites de ce qui n'est plus Sarance, et depuis mille ans on y a totalement oublié les noms de ceux qui furent des conducteurs de chars célèbres. Il n'empêche qu'on a l'impression de revenir dans des lieux connus, en tout cas, pour qui a lu d'autres romans de l'auteur. Ceux pour qui ce n'est pas le cas manqueront les clins d'oeil et références internes, mais ceux-ci ne sont pas nécessaires pour apprécier ce roman. Les personnages, eux, en revanche, sont des inconnus à découvrir. Tous les personnages principaux sont au début de leur vie, et à la veille d'événements capitaux, pour eux et pour leur monde, et cela s'applique surtout à Pero Villani.

L'action est bien présente dans le roman. Qu'on ne s'attende pas toutefois à de grandes scènes de bataille. Au pire, il s'agira d'escarmouches mettant aux prises quelques centaines d'hommes, plus souvent on assistera à des tentatives d'assassinat. Comme toujours avec Guy Gavriel Kay, on y trouve des personnages infiniment séduisants, chacun à sa propre façon, et surtout des femmes fortes et intelligentes en plus d'être belles, ce qui est bien satisfaisant. Après le détour par la Chine, décor des romans immédiatement précédents de l'auteur, le retour à l'univers méditerranéen, malgré la possible impression de familiarité qu'il peut donner, permet à l'auteur de démontrer une fois de plus que la source de sa créativité est loin d'être tarie, et qu'il possède toujours la capacité d'enchanter ses lecteurs.

Pour les lecteurs français de France, ce roman sortira très prochainement chez L'Atalante, avec une nouvelle traduction.