La rencontre entre Saxe et Dresde ne se passe pas vraiment bien : en effet, Dresde veut défendre la maison de son maître contre l'intrusion de celui qu'elle prend pour un voleur, avant de s'apercevoir qu'il n'en est pas un. Ces deux solitaires vont trouver chacun une compagnie dans la présence de l'autre, puis s'entraideront contre la haine de Pue-la-viande. Mais il ne s'agit pas seulement pour eux de fuir devant cette menace : tous deux veulent aller Dehors, et donc retrouver pour ce faire les portes qui ont été scellées tant d'années ou de siècles plus tôt.
Je ne peux qu'exprimer mon plein accord avec Xavier Mauméjean disant dans sa préface que ce roman était "l'un des plus beaux romans de robots" qu'il ait pu lire. Quoique... Bien sûr, c'est incontestablement une magnifique histoire de robots, au sens où deux des trois personnages principaux de ce livre sont des "golems", c'est-à-dire des objets manufacturés par des humains, à présent disparus, pour les servir. Mais pour moi le roman parle avant tout de la confrontation à l'autre, au différent, et à sa propre impuissance face à la vie - et à la mort - de l'autre. Il n'est que de voir la différence de réaction de Pue-la-viande et de Dresde face à la maladie de leur maître, ou d'ailleurs à la nouveauté que constitue l'apparition de Saxe.
Cela dit, il est indubitable que Justine Niogret réussit, grâce à son talent d'écrivain, à créer des personnages composés de matière inanimée - des robots - qui ont une réelle personnalité, au sens où leurs réactions, et leur évolution, vont bien au-delà d'une éventuelle programmation antérieure. En cela, elle interroge la notion même de libre arbitre, et bien sûr l'idée que nous nous faisons du "propre de l'homme". Il est frappant de constater que, des trois personnages, le seul à avoir un nom qui évoque l'organique est un golem, là où le seul humain a un nom qui évoque la porcelaine. On voit là que la ligne de partage - j'allais écrire "ligne de faille" - entre l'être des personnages se situe ailleurs que dans la façon dont ils ont été conçus.
Le style de Justine Niogret est un régal à lire : il est toujours précis, cruellement détaillé, une épure charnelle sans aucune boursouflure, avec des phrases suffisamment courtes pour laisser le lecteur respirer. C'est poétique au sens où l'entendait Jean Cocteau, c'est-à-dire exact dans la description des scènes et des états d'âmes. C'est vraiment une bonne idée des éditions Mnémos d'avoir réédité ce roman, paru à l'origine dans la trop éphémère collection Pandore du Pré aux Clercs. Je ne peux que souhaiter vivement que cela lui gagne tous les lecteurs qu'il mérite.